Les conquérants du monde connu – Et maintenant ?

Et maintenant ?

15 janvier 2012,10h30, aéroport de Roissy Charles de Gaulle.

Les bagages se font attendre depuis plus de 30mn.

De l’autre côté d’un fin mur en placoplatre, on sait que notre famille est là qui nous attend.

Et puis au terme d’une attente qui semble une éternité, les voilà enfin.

On récupère nos bagages pour la dernière fois et on les remet sur notre dos. Pour la dernière fois.

Puis on avance et la porte coulissante s’ouvre sur la foule qui attend les passagers du vol AA120.

Dehors, le retour à la vie normale nous tend les bras.

Et maintenant, que fait-on ?

Plus de 3 ans que nous sommes revenus et pourtant on y pense toujours.

Photo du 49851773-06- à 13.503 ans ont passé et le souvenir de ce voyage extraordinaire ne cesse de se rappeler à nous. On n’a jamais vraiment défait nos sacs usés et poussiéreux et on se sent un peu comme Jack Kerouak[1].  Et depuis trois ans, nos trousses de toilette prennent la poussière entre le lavabo et le mur de la salle de bain. On ne peut se résoudre à les vider et les ranger. Partout dans cet appartement que nous n’avons pas choisi, s’entassent des petits souvenirs, des morceaux de vie d’ailleurs, des restes d’instants volés. Notre souvenir est tout sauf évanescent. L’appareil photo que nous avons dû acheter sur le chemin est toujours plein des derniers clichés des géants centenaires de Yosémite et des trottoirs gelés de New York. Il est posé dans un coin et prend la poussière. Tout est resté en l’état, comme si nous étions toujours sur le départ. On se rend compte que l’on ne vit que pour cela. Le voyage est un mal exquis et doux qui nous ronge depuis de nombreuses années. Une maladie que peu de gens comprend. Seule l’arrivée de Louise dans nos vie nous a fait ranger « un peu » et mettre au placard (mais pour quelques instants seulement) quelques réminiscences de notre voyage. Nous n’avons pas pour autant abandonné  le départ futur.

Est-ce anodin de faire le Tour du Monde ? Parviendra-t-on un jour à se réadapter à la vie de tous les jours, la routine ?

Le plus beau des voyages, c’est celui  où l’on apprend à se connaître, où on se découvre et se redécouvre. Face à ses passions, ses doutes, ses peurs, ses soifs d’aventures et désirs d’ailleurs, on comprend enfin qui nous sommes. Nous avons accompli ce qui restera longtemps le plus beau de nos voyages. On est allés au bout de nous-mêmes, au bout d’une idée : cheminer pendant 7 mois tout autour du monde, en faire la révolution. Et faire la nôtre. S’arrêter de-ci de-là, prendre le temps, découvrir, s’émerveiller, s’emplir les poumons de cet air si différent et la tête de ces images enivrantes. Puis refaire son sac et continuer à avancer, toujours plus loin vers l’est, les yeux grands ouverts.

Malgré nos 10 ans de vie commune, on a appris à se connaître et on s’est redécouverts l’un l’autre. On a surtout appris à voyager et nos envies, nos passions se sont construites et fortifiées kilomètre après kilomètre. On sait qui on est désormais, et on sait où on veut aller.

Baignée de nombreux récits de voyages, d’exploits et d’aventure, je me lançais avec Guy à la conquête du monde comme tant d’autres avant moi. J’avais en tête les voyages extraordinaires d’Alexandra David Néel ou d’Ella Maillart, les pérégrinations sans fin de Nicolas Bouvier, les découvertes de David Livingstone, l’exploit surhumain de Maurice Herzog ou les nombreux voyages exceptionnels de Marie-Louise, celle à qui j’ai consacré 2 ans de recherches. L’unique, la découverte, l’Ailleurs, l’exotisme. L’Aventure en un mot ! Mais il y a bien longtemps que les paysages ont été foulés, les temples découverts et les peuples rencontrés. Cette soif inextinguible d’aventure qui nous a animés de bout en bout s’est heurtée très souvent aux réalités actuelles : tourisme de masse, mondialisation, démocratisation du voyage, occidentalisation enfin. Nous ne sommes que des explorateurs du monde connu, des voyageurs du XXIe siècle. S’en est bel et bien fini de l’époque des exploits, des premières et des découvertes.

Pourtant, ce voyage a été inoubliable. On a éprouvé une satisfaction sans limites de voir, d’être « là », de rencontrer et d’arpenter des lieux extraordinaires. On a su, à notre manière, voler des petits instants exceptionnels pour les laisser mûrir en nous puis littéralement exploser dans le regard des Autres.

Des confins de l’océan Pacifique au désert rouge d’Australie, de la forêt luxuriante du Pérou aux plaines vierges de Mongolie, nous avons vécu un voyage exceptionnel. Nous sommes revenus changés mais pourtant toujours fidèles à nous-mêmes. On avait la peau plus foncée qu’au départ, des kilos en moins, quelques blessures vites refermées çà et là, des grains de folie en plus et des milliers d’images nouvelles en tête mais  toujours la même soif de découverte et d’aventure. Ce voyage semble même l’avoir ravivée : on a envie de grimper, de parcourir, de découvrir d’autres espaces. De s’évader en un mot ! Après tout, le monde est vaste et il y a encore tellement de belles choses à voir…

Plus les jours passent et plus l’idée se fait pressante : on ne peut pas rester. On doit repartir. Le monde nous rappelle. D’une façon ou d’une autre, il faut s’échapper. Se sentir vivants, enveloppés d’euphorie, baignés d’histoire et de découvertes, emportés par les visages de ceux que l’on rencontre. L’inhabituel, le « dernier moment », la surprise, le « pourquoi pas ». Avancer, reculer, faire ce que bon nous semble et se défaire de tout ce qui nous emprisonne.

Voilà ce qui nous manque.

Le monde nous a révélé à nous-mêmes.

Voilà donc ce que nous sommes.

C’est décidé : nous serons des voyageurs.

Nous et les voyages, ça commence à devenir une longue histoire. On ne prétend pas être des explorateurs, mais juste des voyageurs au long cours. Et encore. Comme beaucoup (ou pas), nous avons vraiment commencé comme simples touristes : notre guide à la main, un appareil photo autour du cou, une énorme valise trimballée sur les pavés de Rome, Londres, Athènes…

Nos 2 semaines au Canada pour rendre visite à ma famille en 2002 ont constitué notre premier voyage à l’étranger. On est partis avec d’énormes valises à roulettes, des vêtements pour habiller toute une colonie de scouts pendant 2 mois, bardés de guides de voyage. Par peur de l’inconnu on avait tout réservé par téléphone : les nuits à Montréal, l’hôtel à Québec. On s’était archi renseignés sur les bus pour faire la liaison jusqu’à Montréal depuis Cowansville. Et puis le reste du temps on serait chez tata. Bon. On était jeunes et inexpérimentés, c’était il y a 13 ans maintenant.

C’est à l’occasion de ce premier voyage qu’on a commencé à réfléchir à ce qu’on voulait. Puis tout s’est enchainé très vite : des voyages européens, puis la Malaisie, le Japon, l’Egypte, la Réunion, les Etats-Unis…

Et chaque fois, comme une frustration : nos 3 semaines ou 4 semaines sur place étaient bien trop courtes. Tout en étant conscient de notre chance de pouvoir partir si souvent et pour une durée assez appréciable, on a très vite eu envie de plus.

Happés dans notre quotidien fait d’études passionnantes d’histoire pour moi et de boulot à Vincennes pour lui, on avait pas pris conscience des possibilités qui s’offraient à nous. Faire un tour du monde ? On y avait même pas pensé. Pourtant, je travaillais alors à mon Master sur une voyageuse exceptionnelle des années 50 : une illustre inconnue répondant au doux nom de Marie-louise Plovier Chapelle. Je suis littéralement tombée amoureuse de cette femme, de ses voyages, de sa liberté. J’ai étudié pendant 2 ans ses moindres faits et gestes, ses déplacements, sa pensée, ses lectures. J’ai regardé des centaines de fois ses photographies prises aux 4 coins du monde. Parce que Marie-Louise était une alpiniste française et en tant que telle, elle est allée en Inde, au Japon, dans le Hoggar algérien, en Amérique Latine… partout. 1ère femme française à participer à une expédition dans l’Himalaya (1952, 2 ans à peine après l’exploit d’Herzog, Lachenal et Terray à l’Annapurna), photographe, reporter, écrivaine, elle était complète. Mais l’Histoire a oublié son nom.

A l’occasion de cette cohabitation de 2ans avec Marie-Louise, j’ai dû lire une foultitude de livres. Le moins qu’on puisse dire, c’est que j’ai commencé à acquérir une vraie connaissance de l’univers des récits de voyage: Nicolas Bouvier, Ella Maillart, Paul Emile Victor, Jack Kerouak, Annemarie Schwarzenbach, Alexandra David Neel, Ida Pfeiffer ou encore – dans un registre plus spécifique – Claude Kogan, Maurice Herzog ont fait partis de mes lectures phares.

Chaque lecture a éveillé en moi une véritable soif d’aventure. Une soif d’exploration plutôt. J’avais un tel respect, une telle estime pour ces femmes et ces hommes qui s’étaient lancés à l’assaut du monde avec pour tout bagage une boussole, un sac à dos et une foi inébranlable dans leur objectif.

Moi aussi je voulais de ces aventures, moi aussi j’avais envie de découvrir le monde, d’aller vers des terres encore inexplorées, rencontrer des peuples inconnus où tout pouvait être possible. Partir à pied, à vélo pour traverser des contrées vierges de toute présence occidentale.

Il y avait un problème ceci dit. La plupart de mes auteurs ont écrit dans les années 30, 40 ou 50.

Et puis j’ai aussi lu Henri Michaux. Je ne savais pas à quel point cette terre « rincée de son exotisme »[2] qu’il décrivait déjà en 1928 était rincée à ce point-là.

Quelle légitimité ai-je donc à écrire ces lignes ? Aucune. Nous n’avons rien fait d’exceptionnel. Rien qui marquera les annales. Nous n’avons rien d’explorateurs sibériens, ni d’aventuriers au long cours partis à la recherche des sources du Nil. Les tours du monde se démocratisent et pullulent. Notre voyage semble si banal. Le principal, c’est peut-être qu’il ne le soit pas pour nous. Et qu’importe si on ne restera pas dans les annales.

Ce site est dédié à des centaines d’instants volés, dans les dizaines de pays que nous avons parcouru.

Morceaux choisis –

[1] « Nos bagages cabossés étaient de nouveau empilés sur le trottoir ; nous avions encore bien du chemin à faire. Mais qu’importait, la route, c’est la vie » (Jack Kerouac, Sur la route, chapitre V).

[2] Henri Michaux, Ecuador.

11 thoughts on “Les conquérants du monde connu – Et maintenant ?

    1. Merci à toi 😉
      Ce n’est pas évident en même temps parce qu’il y a tellement de choses déjà écrites sur le sujet… Nous ne sommes qu’une goutte dans l’océan !

  1. Ce texte est très prenant, ta vie est un voyage au sens propre comme au sens figuré ! Qu’importe si vous ne resterez pas dans les annales, vous êtes mes explorateurs préférés ! Ah et puis il reste encore des endroits inexplorés par l’être humain comme l’espace :p A quant un voyage sur la Lune ?

    1. Alors si nous sommes tes explorateurs préférés, nous avons donc tout réussi… !
      Merci pour ce joli commentaire ! La Lune ? On y songe… 😉

  2. Vous connaissez mon point de vue sur votre blog donc je ne vous réécrirai pas la tartine que je vous ai envoyée l’autre jour mais je voulais ici vous dire merci.

    Merci de m’avoir rassurée et mis le pied à l’étrier lorsque mon « nouveau copain » m’a annoncé (le jour de notre rencontre) que son rêve était de partir en tour du monde. Je t’ai dit cela Céline quelques semaines après, chez notre ismounette adorée. C’était il y a un peu plus de cinq ans, Et depuis, pfiouuuuu, que de bornes avalées ! Je savais que j’aimais voyager, j’étais curieuse de tout, mais, comme beaucoup, j’étais un peu fébrile à l’idée de me lancer et de sortir de ma zone de confort. Et c’est toi Céline, par votre propre expérience que nous avons dévorée jour après jour, qui m’a rassurée sur le fait que Oui, c’est faisable.

    Et merci surtout pour partager avec nous vos découvertes, vos émotions, vos sensations et merci de nous faire rire (parce qu’on se marre bien en lisant certaines anecdotes !!).

    1. Merci Noémie !! Je suis ravie de tout ce que m’écris et heureuse d’avoir pu avoir jouer un petit rôle dans ton propre tour du monde 😉
      A très vite pour la suite !

  3. Salut, je ne connaissais pas du tout votre blog!
    J’ai lu des tas de récits d’après retour…Parce que oui quand on rêve de TDM, on pense un peu au retour quand même…
    Je pense que tu résumes tout dans une seule phrase « Le principal, c’est peut-être qu’il ne le soit pas pour nous. »
    Je ne suis pas encore partie, mais les gens me demandent sans arrêts pourquoi? et ta famille? et ta amis? t’as pensé à eux? ouais mais et si je pensais qu’à moi un peu?
    Je pense que c’est ce qui compte : l’effet qu’il a eu sur vous… 🙂

    1. Merci pour ce message Cécilia !
      Il est primordial de penser à toi, pour le coup je suis d’accord !
      Nous n’avons évidemment rien regretté même l’éloignement de ma famille dont je suis assez proche… Et on envisage de recommencer assez rapidement pour tout te dire !! 😉
      Et effectivement on se dit que ce voyage a été une aventure dans toute sa pure beauté surtout pour nous et nos proches et c’est tout ce qui compte ! 😉
      À quand ton TDM ??

      1. Ah c’est trop bien! je pourrais vous suivre en « live » cette fois-ci 🙂
        Nous avions prévu septembre 2016, mais je pense que nous allons repousser d’un an..En attendant on ne se prive pas de voyager et nous partons à la fin du mois! 😀
        A bientôt!

        1. On se suivra en live mutuellement alors 😉 Ca nous amène à septembre 2017 c’est ça ?
          Nous aussi nous partons à la fin du mois…. Destination surpriiiiiiise (à suivre sur le blog) !
          Vous partez de quel côté ?!

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