Thanks… Harvey.

Thanksgiving

Un mot qui résonne en nous, européens que nous sommes. Il éveille des souvenirs, des idées, une fête mythique et opulente au cœur du rêve américain dont nous sommes abreuvés depuis des générations touchés par le tentaculaire soft power américain. Films, livres, séries mettent en scène ce qui est aujourd’hui une des fêtes les plus importantes du calendrier américain, avec Noël et New Year’s Eve. C’est une fête familiale. Un moment pour se rassembler avec ses proches et partager du temps. Nous avons eu la chance d’être invités par Marie et Mathieu à célébrer Thanksgiving autour d’un repas traditionnel chez leur groupe d’amis en ville. Nous avons été chaleureusement accueillis et invités à déguster un riche repas : dinde évidemment, cranberry sauce, pomme de terre, purée de panais, choux de Bruxelles rôtis (il se passe une chose étrange aux États-Unis : les choux sont délicieux ici. Moi qui ai toujours cordialement détesté ces petits nabots verts), gravy (sauce de la viande). Un régal. Nous étions une 20’aine dont 10 enfants. Louise, comme un poisson dans l’eau, petite benjamine qu’elle était, s’est fondue dans le décor et a tôt fait de disparaître dans les étages feutrés et duveteux de la somptueuse demeure ou nous étions.
(Photos en qualité pas terrible… je ne me voyais pas faire la touriste  chez les gens…)
 

 

On célèbre ce jour, le supposé moment où la cinquantaine de Pilgrims survivants du Mayflower (européens arrives en 1620 à bord du célèbre bateau et décimés lors du premier rude hiver) aurait partagé un repas avec 90 indiens à Plymouth en 1621, après leurs premières récoltes. Squanto, indien Wapanoang qui a appris l’anglais quand il était esclave (sic), aurait montré aux Pilgrims comment planter le maïs. 3 jours de célébration marquent l’événement dont on a quelques témoignages. Un beau récit illustré au XIXe siècle par une flopée de tableau (erreurs à la pelle) mettant en scène le mythe de Thanksgiving pour l’ancrer dans l’identité américaine naissante et en faire un événement fédérateur au cœur de la religion civile balbutiante. On célèbre donc ce jour, une supposée fraternité entre les peuples.

 

 

Sauf que jeudi soir, à Alcatraz, on célébrait autre chose. Le Un-Thanksgiving Day. Là, les natifs américains commémorent une toute autre mémoire : un deuil. Un jour qui marque le point de départ de ce qui est qualifié par beaucoup de Génocide. Un jour qui marque le début de la conquête des États-Unis au détriment des indiens. Ce jour est vu de longue date dans la communauté comme une histoire embellie montrant deux peuples faire fi de leurs différences pour rompre le pain ensemble. Cette histoire, c’est surtout celle de massacres (le massacre des Péquots par exemple), longtemps vus comme préventifs puis révisés dans l’historiographie américaine et clairement appelés Génocide à partir des années 70. Pour beaucoup, c’est un jour qui montre l’amnésie politique et culturelle des États-Unis, un blanchiment de l’histoire, tandis qu’un vrai signe de progrès serait, pour les professeurs d’université les plus acharnés, le remplacement de Thanksgiving par un jour de réflexion et d’expiation. Bref, ce jour dans la communauté des natifs américains (et pas seulement), on célèbre la survie de quelques natifs face au débarquement et à la conquête féroce et violente des colons.

 

 

Une histoire. Deux mémoires diamétralement opposées, dont l’une blessée et meurtrie qui a été passée au rouleau compresseur des siècles. Deux Amériques qui se tournent le dos.

 

 

Et, magie des contrastes tout américains, le lendemain c’était… Black Friday ! Énorme opération commerciale qui attire des millions de personnes chaque année à travers les États Unis et dont nous comptons bien… Rester éloignés. Mais il faut être réalistes : les manches des pulls de Louise lui arrivent au coude et on voit presque ses genoux quand elle est en pantalon. On est certes en Californie mais on est tout de même au mois de novembre. Alors on est allés chez Kohl’s acheter deux ou trois pantalons, des collants, un petit pull et d’autres choses. Le tout à -60%, avec 20% de remise en plus sur le ticket global et avec un article non scanné (merci monsieur). Une super affaire puisqu’ on a économisé 70$ mine de rien !

 

 

Enterrée sous mes copies, les bulletins et les appréciations (fin de trimestre oblige), j’ai été obligée de passer mon tour pour une visite et le samedi matin à été consacré au boulot (avec le vendredi soir, le samedi soir…). Cela n’a pas empêché Guy de se faire un match de basket avec Chris et Ben, entre américains (et hop, 150$ la soirée !).

 
 

 

Cela ne nous a pas empêché non-plus de nous balader tous les trois. Nous sommes allés visiter le quartier du Sunset où se situe le lycée. Bon. Pas grand chose à voir ici, mais deux ou trois choses qui valent le détour. Les Tiled steps pour commencer.

 
 
De gigantesques escaliers couverts de milliers de tessons de céramique. Ils représentent les mondes marins tout en bas, les mondes terrestres puis les mondes célestes tout en haut. C’ est d’une grande beauté et l’ illusion est parfaite quand on est à leurs pieds. Le sommet du Grand View Park permet d’avoir, comme la semaine dernière, une jolie vue sur la ville. Un peu gâchée par le temps mais… C’est aussi et surtout ça San Francisco. De la bourrasque, du brouillard et du crachin.
 
 

 

Plus bas, au bord d’Ocean Beach on trouve les maisons Rousseau. Des maisons toutes différentes, avec cheminées, bow windows et aux couleurs chatoyantes (bon vu que le temps est maussade, on reviendra pour les couleurs). Conçues par l’architecte Rousseau, elles s’arrachent paraît-il à plus de 1 million de dollars. Et tout au bord de l’eau, presque léchée par les vagues, un propriétaire à voulu rendre hommage à Mondrian en peignant sa maison aux couleurs des célébrissimes peintures. Pourquoi pas…

 
 
On mange du Mac and Cheese dans un restaurant de surfers au sol attaqué par le sable puis on traverse la rue pour aller perdre notre regard dans l’infini du Pacifique. Les vagues s’écrasent en gros rouleaux grisonnants, ce qui ne décourage pas quelques surfers ni quelques badauds installés sur le sable. On est au mois de novembre et c’est vraiment grisant de pourquoi quitter l’agitation de la ville en un éclair pour se retrouver les pieds dans le sable face à l’immensité. Cette ville est grisante.
 

 

Aujourd’hui nous devions aller nous promener dans l’immense parc Point Reyes, à 40min de chez nous.

 

Bon.
Face au déchaînement des éléments, et comme on a ni bottes ni cirés, on sent que ce n’est pas le bon jour. C’est une véritable tempête d’eau qui s’abat sur nous, ce qui est un vrai bonheur je dois le dire. Il semble loin le temps des incendies incontrôlés qui étaient pour toute la région une épée de Damoclès. On a la bougeotte alors on file dans l’autre sens. « Y’a un micro climat là où on va tu vas voir » dis-je au breton de l’équipe. De fait, non. Il n’y avait pas de micro climat aujourd’hui sur le Castro. Ça ne nous a pas empêché de visiter le quartier. Plongés au cœur de l’histoire de l’homosexualité aux États Unis, nous suivons les traces de Harvey Milk, premier homme ouvertement homosexuel à être élu conseiller municipal d’une grande ville.
 
 
Militant pour les droits des homosexuels et homme politique donc, il est aussi passionné de photographie et c’est depuis son magasin, Castro Camera au 575 de Castro Street qu’il mène campagne. C’est ce magasin qui devient son QG et le point de rassemblement de toute la communauté Gay. Assassiné en 1978 à l’âge de 48 ans, il entre alors au panthéon des Martyrs et c’est tout un quartier qui lui rend hommage. Le quartier est décoré de façon perpétuelle aux couleurs du du drapeau multicolore et de nombreuses institutions portent son nom.
 
 
On file au 575. Castro Camera a fermé il y a bien longtemps et c’est une boutique des Human Rights qui est installée là. On flâne entre les informations sur la communauté LGBTQ, les t-shirts et goodies et le vieux monsieur qui s’occupe de la caisse se prend de passion pour Louise. Il lui demande sa couleur préférée, ce à quoi elle répond toute seule comme une grande « Purple ». Il lui offre un joli pin’s Equality, puis des drapeaux… Puis des stickers. Puis encore des pin’s. On prend le temps de discuter avec lui. Il nous raconte qu’il est retraité et que grâce à Harvey entre autre, les droits des homosexuels sont bien avancés. Ému, il nous dit avoir pu enfin épouser son compagnon après 41 ans de vie commune. Pour la peine, à l’américaine, on se fait un hug. Il nous indique où aller dans le quartier et surtout nous apprend que Harvey n’a pas été enterré. Une partie de ses cendres est là, face au magasin d’où tout est parti. Une plaque indique l’endroit où les cendres reposent. Le reste nous dit-il, à été dispersé en mer avec plein de confettis, de la musique et des sourires.
 
On file manger dans le restaurant Harvey et on nous installe exactement là où Harvey Milk était assis pour fêter ses 30 ans le 22 mai 1960 dans ce qui s’appelait encore Elephant Walk.
 
 
Après le repas, on part visiter le LGBT museum, dédié à la communauté homosexuelle. L’entrée ne coûte que 5$. Étonnant ! En réalité, il n’y a que deux salles. Alors forcément. C’est proportionnel. Ceci étant dit, tout petit qu’il est, ce musée n’en est pas moins intéressant et on apprend beaucoup sur l’homosexualité aux États Unis. Du Gold Rush et ses bals pour mineurs et chercheurs d’or, sans femmes, aux premiers travestissements en passant par les premières condamnations pour « débauche », « mauvaises mœurs ». C’est triste et émouvant.
 
 
Puis les premiers mouvements, les premiers endroits où se retrouver, les premières luttes défilent. Et vient l’arrivée de Milk. Les campagnes, les élections et le succès. Puis l’assassinat.
 
 
La dernière pièce présentée par le musée est terrible et glaçante. C’est le costume qu’Harvey portait quand Dan White le crible de 5 balles dont 2 dans la tête. Il est encore couvert de sang. La muséographie est poignante : on ne voit le costume qu’à travers le visage projeté de Milk sur une toile. Et au dessus, dans des haut-parleurs résonne sa voix et les derniers mots qu’il enregistre si jamais il venait à être assassiné : « If a bullet should enter my brain, let that bullet destroy every closet door »* (« Si une balle devait traverser mon cerveau, laissez-la briser aussi toutes les portes de placard ») (en référence aux homosexuels craignant de révéler leur sexualité, de sortir du placard). Poignant, glaçant et touchant à la fois.
 
Je termine ce long post par la mauvaise nouvelle de la semaine : pas d’embauche pour Guy a la Recyclerie finalement. Ils ont du embaucher quelqu’un il y a 3 semaines et ils n’ont plus besoin de main d’œuvre. Mauvais timing et mauvais plan. On est déçus mais Guy rebondit et a posé des candidatures partout. On croise les doigts car lundi et mardi, il a déjà décroché deux entretiens. On vous tient au courant.
 
À très vite pour la suite des aventures,
 
C, G & L
Quelques réponses à vos commentaires
@ Seb : Concernant Trump, il semblerait pour le moment que nous n’ayons rencontré que des anti-trump… (la pédiatre, les amis américains, les collègues de Guy…). Mais effectivement, c’est la Californie !
@Charron : Qu’est ce que tu m’as fait rire… pas encore eu le temps de faire du pain, mais dès que c’est fait, je t’envoie la photo des miches 🙂
@Linda : c’est exactement ça…l’action de GRAS. Mon Dieu ce qu’on a pu manger…
@Fred, Mel, Camille et Léa : Que d’aventures comme tu dis !! Louise s’adapte bien comme en témoigne son énorme sourire 🙂
@Evelyne : Je suis tellement contente que ça te plaise ! Et comme cela, on garde notre relation de voisines… un peu éloignées certes, mais voisines tout de même !
@Fanny: Hâte d’être à Noël pour te montrer tout ça !

4 thoughts on “Thanks… Harvey.

  1. Ah ! Enfin Thanksgiving ! Ça a l’air délicieux et j’aimerais bien être à ta place ce jour là :p

    C’est intéressant le Un-Thanksgiving day, j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus une prise de conscience des atrocités commises au cours de l’histoire des USA, qui part ailleurs semble mettre en relief des sentiments patriotiques mal-placés (cf. les trumpistes).

    Et je ne connaissais pas du tout Harvey Milk 😮 Pour être honnête, je croyais que c’était juste un film ^^ » Cette ville regorge toujours plus de surprises. Définitivement, je dois y aller un de ces 4. Quand j’aurais le temps.

    Quand j’aurais l’argent aussi. 😀

  2. Merci Céline, c’est une fois de plus passionnant ! J’étais d’ailleurs en train de me faire la réflexion que tu étais rentrée dans mes habitudes hebdomadaires, car je lis ce blog tous les lundis ou mardis matins au petit-déjeuner. Et j’attends toujours la suite avec impatience. 😊 Bon Thanksgiving en retard. (Le Black Friday est parvenu jusqu’en France cette année). À bientôt.

  3. Coucou j ai pris un peu de retard dans la lecture de tes posts ça y est j’ai tout rattrapé comment as tu pu douté de ta petite Louise (elle connais plus de mots anglais que moi)…..j aime bien le nom de l architecte !!!!!!par ton intermédiaire je fais un coucou à Fanny et Bertrand je ne peux pas aller sur leur page bisous à vous tous fanfan

  4. Je ne connaissais pas non plus le Un Thanksgiving day! c’est intéressant tout ça et quelque peu schizophrénique non? Les couleurs sont belles et vous aussi. Bisous mes amis!!!!

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