L’envers du décor

303$. 

Dimanche 4 février au soir, au terme d’une semaine longue et chaotique marquée par une toux incroyable de Louise, mon absence pour un stage à Washington, le nécessité pour Guy de poser 2 jours (non payés) dans un contexte de licenciements massifs, nous voici à appeler en urgence l’after-hour care pour emmener Louise voir un médecin. Un petit sifflement dans la respiration et une double otite sont diagnostiqués. On demande le prix de la consultation et l’infirmière nous annonce de 150 à 225$. « Tout dépend de ce que fait le médecin » nous dit-elle, rassurante. Au final, elle nous réclame avec un sourire ultrabright  303$ pour la consultation. Et il faudra encore aller chercher les médicaments (j’ai presque embrassé la pharmacienne quand elle m’a annoncé 13$ pour 10 jours d’antibiotiques).

Cette petite péripétie conclut une semaine plus que mouvementée. Je quitte San Francisco en avion mercredi (31 janvier) le cœur lourd laissant derrière moi une petite Louise malade et un Guy stressé de devoir gérer seul la situation. Il pose 2 jours « en marchant sur des œufs » et en expliquant à Iris qu’il est désolé et qu’il n’a pas le choix. Marie – heureusement – se propose gentiment pour prendre le relais vendredi pour permettre à Guy de retourner au travail. Après un week-end en forme où Louise semble récupérer et court partout…

…nous finissons donc avec un rendez-vous en urgence dimanche soir, délestés donc de 300$. 300$ c’est un somme (244 euros). C’est en essence la majorité de ce qui nous reste une fois le mois achevé. Je dois vous avouer que la santé nous stresse et nous fatigue moralement. D’autant plus que j’ai été littéralement harcelée vendredi (il y a 3 jours) par le cabinet de pédiatre de Louise pour prendre immédiatement un rendez-vous de suivi. Harcelée. Littéralement. J’ai rappelé 3 fois en précisant que Louise était sous antibiotiques pour 10 jours et qu’elle allait beaucoup mieux. Cela n’a pas suffi et c’est le docteur en personne qui me rappelle pour non pas me demander mais m’intimer l’ordre de ramener Louise à son cabinet juste pour vérifier si elle va mieux. Évidemment ce n’est pas gratuit et il faudra s’acquitter de 150 à 200$ de plus. Ce que je refuse puisque Louise vient de voir un médecin et va mieux. « WE get to decide because WE are the doctors even if sometimes – but not always – parents are right when they say their kid feels better. Our patient is OUR priority« . Je m’emporte quelque peu au téléphone (j’ai l’impression d’être dépossédée de mon droit de jugement et de ma fille) en expliquant que nous sommes de bons parents, que l’on a toujours fonctionné comme cela en France, que la santé de Louise est NOTRE priorité et qu’elle est très étroitement surveillée. Par nous, par les équipes de l’école (la maîtresse m’envoie régulièrement des mails pour me dire que Louise va mieux, tousse moins, joue…). Dès que j’explique que de toute manière nous n’avons plus les moyens, le docteur me dit qu’en effet on peut attendre un peu avant de se voir. Adieu la priorité au patient. L’argent avant tout (j’enrage encore à l’heure où j’écris ces lignes).

Tout cela m’a inspiré cette semaine cet article consacré non pas à la santé mais au coût de la vie à San Francisco. J’ai essayé tout au long de ces quelques mois de ne pas vous vendre uniquement « du rêve ». Ce blog n’est pas un blog de voyage, mais d’expatriation avec ses hauts et ses bas. Et des bas, on en a connu. Mais je me rends bien compte que San Francisco fait rêver. Aussi, je me suis dit qu’il serait temps de vous montrer tout de même ce qu’il y a… au dos de cette carte postale. Le nerf de la guerre ici, c’est l’argent.

Je gagne avec le lycée presque 3 fois l’équivalent d’un salaire de professeur en France. Un peu moins de 6000$. Sur le papier, cette somme semble prodigieuse. Mais la réalité est très différente. Voici une liste pas totalement exhaustive de nos dépenses par mois :

Loyer (à San Rafael, 35mn au Nord de la ville) – 2800$
Nourriture  – 800 à 1000$
Électricité,  gaz et eau  – 200$
Ordures ménagères  –  40$
Internet + 2 forfaits de téléphone  – 100$
Transport (Péage Golden Gate, Bus, sachant que Guy utilise au maximum son vélo)  –  300$
Cotisation retraite Céline  –  300$
Essence  –  250$
Entretien voiture –  50$
Assurance voiture  –  80$
Louise (vêtements, chaussures, soins…) – 100$
Frais bancaires – 30$

Bref, vous voyez à quel point une consultation à 300$ peut sérieusement mettre à mal notre moral. Heureusement que la MGEN nous aide disons, quelque peu. Elle nous rembourse 17,60 euros (tarif sécurité sociale française) x un coefficient correcteur de 4,5. Je vous laisse faire le calcul mais sur 300$, ça ne pèse effectivement pas lourd. Et puis on ne sera remboursés que dans 6 mois. C’est déjà cela vous me direz. Mais avec ce budget serré, il ne faut pas « d’accident » (du genre devoir changer tout un tas de trucs sur la voiture pour X ou Y raisons).

Nous ne faisons aucun excès. Pas de shopping ou de coiffeurs pour moi (Guy me dit qu’il peut s’en passer, je ne sais pas pourquoi), pas de restaurants à tout va, pas d’achats compulsifs. On se permet quelques livres, quelques jouets et gâteries pour Louise de temps en temps. Un petit restaurant pas trop cher certains week-ends, une ou deux pièces pour le vélo. On calcule le prix de nos sorties, on est à l’affût des plans gratuits, de l’économie de péage. On a finalement la chance d’être dans une zone où les gens sur-consomment et abandonnent tout un tas de choses incroyables en excellent état. On a récupéré pour Louise un très joli petit lit, une magnifique cuisine et plein de jouets. On vient de récupérer une yaourtière, j’ai payé 3 francs 6 sous une machine à coudre. Corine, la documentaliste de mon lycée, me donne régulièrement des bons livres en français issus de dons pour Louise. On emprunte à droite et à gauche, on dégotte des pass pour les musées, des entrées gratuites. Une élève vient de me proposer des billets gratuits pour son gala (elle est danseuse semi professionnelle) dans une prestigieuse école de danse. Une autre m’invite régulièrement au vernissage des expositions de la galerie de ses parents.  Je fais quelques cours particuliers d’Histoire-Géo qui mettent du beurre salé dans les épinards bios. Une maman d’élève guide au SFMOMA (Museum of Modern Art de San Francisco) m’a donné son numéro et me propose une visite guidée gratuite quand je le veux. Des collègues ont des plans pour le zoo, tel musée et on arrive à dégoter plein d’idées d’activités pour pas un sous.

Avec la carte de bibliothèque (gratuite), des tas de musées sont accessibles gratuitement. Le week-end dernier (avant l’Apocalypse) on est allés au Bay Area Discovery Museum. Un Musée pour les enfants qui ressemble grosso-modo à la cité des Sciences à Paris. Economie réalisée : 45 dollars. Et Louise s’est éclatée !

Guy travaille maintenant ce qui nous permet de respirer un peu. Mais à 19$ de l’heure il ne gagne pas lourd (même pas le prix de notre loyer). Trouver un travail c’est bien mais… cela veut dire faire une croix sur les vacances et parfois les week-ends. Donc sacrifier la découverte du pays. On a de la chance pour le moment. Iris a accordé à Guy ses vacances de Noël ainsi que quelques jours sur février pour que nous puissions aller nous promener. Mais c’est du « sans solde » évidemment. Donc ces mois là, il gagne moins. Et puis cela ne va pas tenir longtemps. Il y a un moment où, nécessairement, quelqu’un va lui dire qu’on est pas en France et qu’il n’est pas prof et qu’il n’y a pas de vacances… Bref, pour le moment en d’autres termes, on se rend compte qu’on a « le beurre et l’argent du beurre » avec Decathlon. On ne se plaint pas du tout !

Alors heureusement, on est venus avec un peu d’épargne mais pas de quoi casser la baraque. Sans compter que cette épargne a été sensiblement entamée par le déménagement lui-même. Entre les billets d’avion, les 3 malles et 4 valises, l’achat de la voiture, la caution pour l’appartement, la scolarité de Louise (4800$ pour la première année et 4000$ pour la deuxième, soit 7200euros), on a dépensé par loin de 15.000$ au total (et encore, on a trouvé un meublé !). Et on garde précieusement sur un compte de quoi revenir à la fin du contrat (malles, avion), de quoi avancer la caution pour le prochain appartement (elle peut se monter à 4.000$ -oui parce qu’on doit déménager en août !) et – parce qu’on est là pour ça aussi – de quoi voyager un peu.

Samedi, nous sommes allés voir Ronn, un « Tax advisor« . Les impôts ici, c’est tellement complexe que l’on se fait forcément avoir à un moment. Alors il vaut mieux faire appel à un spécialiste. Pour nos deux déclarations, il nous fait un prix et on ne lui paie que 270$ au lieu des 300 prévus (aïe quand même). Mais même Guy, facturophile professionnel, reconnaît que là c’était au-delà de ses compétences. Le formulaire W4, le W2, les types de visas, EDD, le laissez-passer A32, le document n°8392. C’est clairement du charabia. En français c’est potentiellement complexe alors en anglais.. Il faut connaître par cœur le système et y avoir baigné une grande partie de sa vie. Ainsi grâce aux calculs de Ronn le magicien (il a traqué la moindre erreur, rectifié des détails, coché les cases adéquates, redressé les informations erronées) … on récoltera 700$ d’ici peu. Du coup, comme le rendez-vous a duré 3h et qu’il est pas loin de 13h quand on sort de chez Ronn… on fête notre Tax Return dans un petit café du quartier. Le Café international se révèle être un petit coup de cœur : d’accueillants canapés aux accoudoirs élimés un peu partout, du mobilier de récupération, un accueil familial d’enfer et des petits plats équilibrés, faits maison et pas chers. Tout le monde est le bienvenu et même des chiens sont installés aux pieds des maîtres qui déjeunent. La cerise sur le gâteau ? C’est un café ouvertement anti-Trump aux affiches drôlissimes. Et puis Louise a tapé dans l’œil de la gérante et a même le droit de passer sous le comptoir pour aller chiper un morceau de chocolat.

Bref, l’argent c’est le nerf de la guerre. Tout cela on le savait grâce aux mois de calculs ultra précis de Guy. Pas de mauvaise surprise donc si ce n’est le coût des soins qui n’est indiqué nulle part  et varie énormément d’un médecin à l’autre et d’un geste à l’autre littéralement. On a trouvé un équilibre, certes un peu précaire mais on est assez contents de réussir à s’en sortir et d’en profiter tout de même à fond.

Je m’arrête là pour ce post somme toute très administratif. On a de la paperasse qui nous attend : renouvellement de détachement pour moi (déjà) et tentative d’obtention d’une bourse du Consulat Français pour Louise. Si on arrive à la décrocher, ce sera 2000$ de moins à payer !

Maintenant que tout semble  rentré dans l’ordre (on croise les doigts), la semaine prochaine, on reprend nos petits périples. Surtout, on va pouvoir préparer nos vacances tant attendues…

A bientôt pour la suite des aventures !

C, G & L

5 thoughts on “L’envers du décor

  1. En effet, pas évident du tout avec nos repères de prix français de se plonger dans un univers où l’argent est encore plus au coeur des préoccupations et à un niveau bien différent ! Je suis effarée du harcèlement du médecin ! Ça ressemble au démarchage téléphonique des vendeurs de cuisine, fenêtre et autre… incroyable!!! Tu as bien fait de le recadrer « gentillement » 😉 Heureusement que vous avez votre « matelas », et le boulot de Guy pour vous laisser une petite marge😊😉. Bisous et… à bientôt !

  2. On se doute bien que tout n’est pas idéal. J’ai souvenir que nous avions dépassé notre budget lors de notre voyage. Mais Claude me disait c’est un voyage que l’on ne refera pas, mais en attendant c’était un merveilleux séjour et nous étions chez des amis donc pas d’hôtel. Nos vacances suivantes avaient été très soft. Le principal c’est que Louise soit guéri. Bon courage à vous bonne semaine et des gros bisous.

  3. Merci Céline pour toutes ces informations administratives et quotidiennes
    Je reconnais que vous profiter chèrement de San Francisco.
    Pourquoi ce déménagement en aout?
    Bon courage à vous trois. Gros Bisous. A bientôt

  4. Merci pour toutes ces précisions! effectivement, c’est l’envers de la carte postale. Un mode de vie, une politique…Mais quoiqu’il en soit c’est un apprentissage cette expérience à tout point de vue justement!
    Je vous embrasse fort mes petits amerloques d’amour !!!!!!!

    Celle qui ne boit pas de coca en public 🙂

  5. C’est bien ce qui me semblait, c’est quant même une dictature capitaliste ! Le niveau de vie est exorbitant et puni les revenus modestes. Les plus radicaux nous traitent de communiste mais finalement c’est un système humain qui permet à chacun de recevoir au mieux et selon ses moyens les soins que tout être humain mérite.

    J’avoue que toute cette histoire me refroidit pas mal à l’idée de vivre un jour aux US même pour ma retraite. Ça a l’air d’être une galère sans nom. Et je pèse mes mots quand je parle de dictature capitaliste. Le pauvre Guy doit « payer » ses jours de repos, le médecin qui insiste pour toucher sa taxe de bonne santé, etc. Ça m’étonne pas finalement que les gens adoptent de plus en plus le système D et les petites combines.

    Bon courage à vous !

    La photo en arrière plan au Café International, c’est un portrait d’un navajo ? (En tout cas, il a l’air bien ce café !)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *