Portraits de San Franciscains

J’ouvre la portière et je suis accueillie par des mélopées de Jazz. Un bouquet de fleurs fraîches est installé dans un des portes gobelets et Zarius, jeune brésilien à la peau de velours et à la barbe bien taillée me jette un regard amical et m’accueille agréablement à bord. « Welcome Céline, how are you feelin’ today ? ». Il a la voix douce Zarius. Elle ne porte pas loin. Ses tons graves se perdent et se confondent dans les notes de musiques qui envahissent l’habitacle. Dandy en costume 3 pièces, béret et fleur à la pochette, Zarius vient du Brésil. Il est né ici mais ses parents sont venus s’installer là peu de temps avant sa naissance. On discute politique avec Zarius. Posément, assurément, on parle de la politique de la ville, du manque de mixité et de la gentrification progressive de tout l’espace (les pauvres sont littéralement « chassés » par la hausse spectaculaire des prix). Et puis on dérive.  » What do you think about your french president, Macron? ». Question complexe lui dis-je. Nous voilà partis à évoquer les Obama, puis l’incontournable Donald. Et puis Dilma et Lula aussi. Il fait des analyses, livre sa pensée sur la vindicte populaire qui a chassé Dilma Roussef du pouvoir. Le Brésil, il y va de temps en temps mais « c’est compliqué ». On parle voyage et Amérique Latine. Je lui dis qu’un jour, on ira au Brésil certainement. Une grande partie de sa famille vit encore à Rio. Et alors que j’évoque mon âge en disant que je ne rajeunis pas et qu’il faut voyager maintenant, Zarius me dit qu’il va avoir 52 ans. « 52 ?! Look at me ? » lui dis-je alors qu’il me dépose devant chez moi. Incroyable. Il rit à gorge déployée. Je pensais qu’il avait tout au plus 38 ou 39 ans. Il me serre la main et me dit de prendre soin de moi. Et peut-être à bientôt pour un ride. Qui sait.

Quang habite depuis 13 ans à San Francisco. Il est le papa épanouit (sic) de 3 garçons de 5, 7 et 10 ans. Sa femme travaille en école publique et est professeur d’anglais. Dans un anglais impeccable toutefois tinté d’un léger accent qui sonne bon à mes oreilles, nous échangeons pendant 40min. La vie ici, le Lyft, les enfants, le Vietnam. Quang vient du Vietnam et rêve de retourner à la vie si paisible de cette contrée lointaine. On discute Phô. Je lui raconte d’où je viens et comment le Phô de chez Nhuy est une longue tradition qui me manque. Et comment arriver au Vietnam il y a 6 ans pendant notre tour du monde, c’était un peu comme arriver à la maison. « It felt like home« . Les odeurs, les saveurs, les sons et la langue. Je lui raconte notre visite du pays et il me conte les douceurs et la fraîcheur de Dalat (ville dans les montagnes, au sud du Vietnam). Il prévoit d’y retourner mais cette fois-ci, pour traverser le pays du Nord au Sud. Ou du Sud au Nord. En scooter. Je lui raconte notre périple, la douceur des gens, l’intensité des saveurs. Et ces quelques personnes âgées dans le Nord, qui avaient toujours quelques mots en français pour nous, les rues de Hanoi parfois indiquées en français. Et le Banh Mi, vendu à même le trottoir, dans des baguettes au parfum de France. « Il faut voyager pour manger » me dit-il. « C’est ce que je fais moi et la dernière fois, je suis rentré avec beaucoup de kilos. Et pas dans mes valises » me dit-il l’air gourmand. Et me voilà très vite l’heureuse propriétaire d’un carnet d’adresses fantastiques sur San Jose pour déguster un vrai Phô. « Ça cuit pendant 9 à 12h vous savez ? J’en ai fait un hier ! « . Depuis le siège avant, il me jette des coups d’œil plein de malice régulièrement et on rit de bon cœur. Il a été père au foyer pendant 4 ans pour élever ses 3 garçons. « Ils ont failli me rendre fou » dit-il dans un grand éclat de rire. « C’est pour ça que je me suis lancé dans l’aventure Lyft et Uber ! ». Il me dépose devant chez moi en me souhaitant bonne chance pour la suite.

Il est 5h du matin lorsque je monte à bord de la voiture de Thomas. Il fait nuit, il pleut légèrement et mon être encore à demi plongé dans le sommeil est accueilli par une main tendue et un chaleureux « Welcome Céline ». Thomas est Nigérian. Il est arrivé d’Afrique en 1981 et est venu s’installer dans le centre de San Francisco. A une époque où, me disait-il, il était encore possible de louer un 3 chambre à 1500 dollars. Puis il est allé s’installer en Allemagne pour ne revenir ici que dans les années 1990. Mais impossible de s’installer de nouveau dans la ville. Thomas vit donc comme nous, à San Rafael, là où on peut encore s’en tirer un peu financièrement. Très vite, nous engageons une conversation intéressante autour de celui qu’il appelle « he » sans le nommer. « What’s his name already ? » dit-il , l’œil qui frise et arborant un air de trublion. On parle de Trump évidemment. Thomas me dit ne pas comprendre cet homme. Ne pas comprendre pourquoi il s’en prend aux étrangers. Il cite alors le poème d’Emma Lazarus inscrit au pied de la Statue de la Liberté :  » Give me your tired, your poor… ». Des années d’enseignement en section européenne me permettent de le finir pour lui  « … Your huddled masses yearning to breathe free, the wretched refuse of your teeming shores » (Envoyez moi vos pauvres, vos exténués, Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres, Le rebut de vos rivages surpeuplés… Du coup, Thomas me jette un coup d’oeil à la fois approbateur et étonné dans le rétroviseur.  Ce poème, c’est une ode aux migrants arrivés en masses aux États-Unis dès l’ouverture d’Ellis Island). « Ce pays a été bâti grâce à l’immigration ! » dit cet immigré à l’immigrée temporaire que je suis. « Les irlandais, les italiens, les allemands, les chinois… Il ne fait que attiser les haines entre les communautés. Ceux qui jadis cachaient leurs visages sous des cagoules blanches pointues et lynchaient les noirs parlent aujourd’hui à visage découvert à la télévision. Et lui, il dit d’eux que ce sont des gens bien….! Il y a quelques années au niveau du tunnel* (*celui que nous allons emprunter et qui débouche sur le Golden Gate Bridge), un message de haine raciale était inscrit. Ici. A San Francisco Céline (il m’appelle Céline du coup) !  Sérieusement ?  D’ici une quinzaine d’années ce pays ne sera plus en majorité blanc. Obama a tellement fait pour essayer de rapprocher les communautés. Il a eu tellement de difficultés avec l’Obamacare. Mais il l’a fait. Et maintenant lui détruit tout. Dans 15 jours il va être auditionné dans le cadre de la procédure d’Impeachment. Certains n’aiment pas que je dise cela mais… J’espère que cela va marcher. Les bookmakers disent qu’il ne fera pas les 4 ans. Quand je pense qu’une procédure d’Impeachment a été lancée contre Clinton « just because he lied ». Bon d’accord il a menti… Mais c’était un président sain comparé a lui… ». Il est en colère Thomas. Pourquoi a-t-il fallu qu’il soit élu ? Il a honte Thomas. Mais il a de l’espoir. L’espoir que le peuple américain, issu de siècles d’immigration, se relève et s’oppose. L’espoir que les choses changent. Il me demande des nouvelles de notre président « Macaron » et le compare tout naturellement à Obama. « Il vaut mieux lui plutôt qu’elle »me dit-il en évoquant celle dont- il taira le nom également. La conversation dérive autour de ses enfants, de sa vie ici et du futur. Puis il est déjà temps de se quitter.

Abdulah est jordanien. Cheveux gominés, barbe de 3 jours, le verbe facile, sourire charmeur et yeux de braise. Il doit avoir un succès fou auprès des filles. Abdulah ne vit pas du tout dans la région. Il vient de l’autre coté des États-Unis : de Caroline du Nord. Il est venu rendre visite à des amis et arrondit ses économies en faisant quelques Lyft. « Et puis ça me permet de rencontrer des gens comme toi ! »me dit-il en me souriant dans le rétro. Du haut de ses 25 ans, il me raconte comment sa famille a quitté la Jordanie il y a déjà près de 15 ans. Ses parents, puis ses oncles, ses tantes. Tout le monde vit ici. « Et la Jordanie ne te manque pas ? » lui dis-je. « Non tu vois, moi je veux faire des études dans le domaine de l’informatique. Et là-bas… il n’y a pas moyen de trouver des débouchés. C’est le chômage assuré. J’ai plein de mes amis là-bas qui ne font rien. C’est pas une vie. Ici au moins, j’ai des possibilités, un espoir ». La conversation tourne très vite autour de la beauté de la Jordanie, de Petra, de ce qui lui manque tout de même un peu, du roi et surtout de la reine Rania et du fait qu’elle n’est pas trop aimée parce qu’elle est d’origine palestinienne. « Tu sais il y a un vrai problème là-bas. Quand tu es palestinien, tu es un peu considéré comme un  immigré qui prend le travail des autres et tout. Moi même… je suis d’origine palestinienne mais je ne le dis pas. Je sais que je perdrais des amis. C’est comme ça ». Puis on dérive sur la vie ici depuis le 11 septembre. Il me confie que les choses sont assez complexes depuis les attentats. « On regarde mon père de travers parfois. Juste parce qu’il est arabe. On fait profil bas. C’est dommage mais c’est ainsi. Tous les américains ne sont pas pareils ceci dit. Mais il faut dire que dans notre voisinage là- bas en Caroline, il n’y a que nous ». Il me dit se sentir totalement intégré malgré tout. « C’est la force de ce pays ! ». Il peste sur le coût de la vie et me donne des trucs et astuces pour payer moins cher mon loyer. « Va vivre de l’autre côté, à San Leandro ! Là, tu peux avoir une maison entière pour 3000 ! » dit-il en riant. Il nous faudra être patients dans les embouteillages en revanche. Il me dépose avec un grand sourire, ravi de la conversation.

 On ne se recroisera sans doute jamais. Je reprendrais peut-être un Lyft ou un Uber  et continuerais ainsi ma collection balbutiante de vies d’ici et d’ailleurs. C’est comme un paquet cadeau. On ouvre la portière sur un monde inconnu et on ne sait sur quelle histoire on va tomber. Puis celle-ci, au gré des questions, des remarques, se déroule à mesure que les roues avalent les miles…

Bonne semaine à tous !

C, G & L

 Quelques réponses à vos commentaires…

@MH : Oui enfin ! Des souvenirs en or…

@Annelaure et Fred,Mel, Camille et Léa : Alors là je sens que je vais casser le mythe du gâteau Licorne… Sachez que je l’ai refait pour l’école et qu’il a produit son petit effet et a été très apprécié : ) Allez j’y vais : il s’agit en fait d’un petit gâteau Quatre Quarts fourré à la confiture de framboise /vanille de Tahiti et recouvert en pâte à sucre et crème au beurre !  Rien de bien compliqué. Il faut juste un très petit moule histoire que la tête soit plus haute que large. Et ensuite on décore ! ; )

@Morue Cesbron: Oui c’était super d’avoir les filles ici !! De supers souvenirs 🙂 Louise devient grande… tout comme Maïwenn : ) Plein de bisous ma morue !!

@Séb : Oui des gens se promènent nus ici… Il est officiellement interdit de se promener nu depuis très peu de temps : novembre 2012 ! Mais il est courant de voir se promener des bonshommes avec… des chaussettes décoratives : )

@Ingrid : Oui, la fine équipe d’EDC : ) Souvenirs souvenirs…

@Bibain : Mais bien sûûûûr tout se fait ! Tu peux compter sur moi quand on rentre !!!

4 thoughts on “Portraits de San Franciscains

  1. Bravo ! Très émouvant ces portraits ! Et quelle jolie plume tu as ! C’est comme un paquet de smarties … tu ne sais jamais sur quelle couleurs tu vas tomber ! Bises josiane

  2. Que de belles rencontres ! J’adore tes récits sont très beaux 😊 A quand le livre?????

    Et surtout merci pour la recette 😉

    Belle semaine à tous les 3 😊

  3. Le président « Macaron » XD un surnom plutôt mignon !

    En tout cas, cette chronique des rencontres des San Franciscains est vraiment très intéressante ! J’espère qu’il y en aura bien d’autres encore ! Ah et la perspective de voir Trump impeached est la bonne nouvelle du jour :p J’espère que l’Amérique retrouvera sa grandeur après ça.

    (Note: On dirait qu’il y a un souci de formatage dans ton texte, vers l’interview de Thomas, la font-size est beaucoup plus grande (D’après le code source, généré par un span avec un embedded style si ça peut t’aider à voir le problème).)

  4. Comme d habitude merci merci pour tes superbes articles tu devrais en faire un bouquin et j attends le suite avec impatience biz à vous trois et bon anniversaire en retard à Louise

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