Alors la Polynésie, c’était comment ?

Chroniques des Autres et d’Ailleurs Episode 1

Céline, Guy & les filles

Vous vous doutez tous certainement qu’à Tahiti, nous sommes allés de beautés naturelles en trésors inestimables. On est allés se baigner dans des eaux translucides, visiter des atolls incroyables, laisser nos empreintes de pied dans le sable fin de motus. Ça, c’est pour la carte postale. Il y a tellement de choses à dire. Et pourtant, nous ne sommes restés que deux petites semaines. C’est mieux que rien et on a chaque jour goûté la chance incroyable d’être là, naufragés sur des petits bouts de terre au milieu du Pacifique. J’ai décidé de vous parler de nos petites escapades en deux temps en commençant avant tout par le récit de petites choses insignifiantes que nous avons vécues, voire incongrues mais qui me viennent naturellement à l’esprit quand je repense à notre séjour. Ce sont les gens d’abord. Souvent juste croisés, des regards échangés le temps d’un instant, quelques paroles, les joues frôlées assortis de « ia orana, ! » plein de malices. Quand je pense à notre séjour, je pense à eux. Les gens d’ici. Qui sont-ils ? J’ai eu à peine le temps, en deux semaines, de les rencontrer, d’échanger. J’ai commencé une petite collection de gens dans cette société aussi miniature que cosmopolite. Collection que je n’achèverai sans doute jamais. Voici quelques portraits…

Il y a d’abord eu Mareva, la petite dame qui fait les colliers de fleurs de Tiaré et les couronnes de tête. Un sourire, un regard doux et de jolis petits mots. Elle roule les « R » Mareva et me tutoie. Comme tout le monde ici. Elle est installée aux abords du marché, sur une petite chaise en plastique verte devant un étalage miniature et avec une énorme glacière d’où elle sort ses créations. Penchée sur une natte végétale, elle travaille d’arrache-pied. Elle se prête volontiers à une séance photo, avec le sourire. On lui demande ce qu’on veut, on commande et de ses doigts de fée, elle tresse et compose. On choisit les couleurs et elle peut tout faire. Louise lui demande une couronne rose, Fanny et moi des fleurs de Tiaré et des végétaux. Pour être belles pour la nouvelle année. C’est avec ses couronnes que Fanny et Bertrand nous accueillent. Avec ses couronnes que nous faisons la traversée pour Moorea, pour le plus grand bonheur de Louise.

Puis il y a Gabriel. Un brésilo-polynésien peu loquace mais d’une gentillesse incroyable, couvert de tatouages, qui nous emmène en excursion au large et dans le lagon. Il mène sa barque avec assurance, nous donne des petites explications sur ce que l’on voit. Les vallées de l’île, les arrivées d’eau douce qui brouillent la vision sous marine, le petit Cessna échoué au fond du lagon depuis 1995 (vol solo dont l’atterrissage s’est transformé en amerrissage réussi) et autour duquel on va pouvoir observer des poissons par milliers. Pendant qu’on explore, il s’installe tranquillement dans un coin du bateau, s’extasie sur le calme du bébé (il est vrai que Lucie, 6 mois, aura fait 5h de bateau sans dire mot – ou juste à peine), puis coupe des fruits sur un plateau en équilibre précaire sur ses genoux. Il emmène les deux enfants à bord – Louise et Joshua, petit québécois de 8/9 ans – jeter les épluchures de légumes aux poissons qui se précipitent dessus. Puis il nous propose avec facétie de nous transformer en appât vivant, petit asticot trainé derrière le bateau accroché (par les mains seulement – faut pas lâcher) à des « Sub-wings ». L’effet est incroyable et de fait, les subwings portent bien leur nom. On vole. Mais sous l’eau.

Nous n’avons échangé avec personne mais nous sommes allés assister à un morceau de la Messe de Noël à 18h qui mêle des chants traditionnels polynésiens à des prières chrétiennes occidentales en l’église Notre Dame de la Paix Maria no te Hau dans le quartier de la Mission à Papeete. Il y a moins de monde qu’à 11h ce 25 décembre, mais la ferveur est là. La croix arrive, les gens se signent puis chantent tous en cœur. Le prêtre, aux accents du Québec, démarre un prêche simple et qui détonne avec ce que l’on entend d’habitude dans les belles mais froides églises de la Métropole :  » Vous savez…si Marie avait dit non, on ne serait pas dans le pétrin ! ».

Anne, « l’impatriée » (elle a déjà vécu plusieurs années à Tahiti) française qui gère d’une main de maitre un établissement de plus de 1000 élèves, 100% polynésiens (les enfants des blancs, eux, sont tous scolarisés dans le privé). Elle me raconte la douceur des enfants ici, aux profils très divers, à la motivation toute aléatoire et à la susceptibilité à vif. Il y a ceux qui se lèvent à 3h du matin et qui descendent des vallées pour venir assister à leurs cours, ceux qui rêvent de la métropole et ceux, largement majoritaires, qui une fois le bac en poche, retournent vivre sur leur atoll, de pêche et d’eau fraîche, sans avoir ne serait-ce que besoin d’un emploi. Une vie simple. « Tu sais, il n’y a pas d’alerte intrusion ici, pas de terrorisme. On est détendus dans l’établissement » me dit-elle. Elle pousse un cafard du bout du pied et me fait visiter des salles, toutes équipées de vidéoprojecteurs. C’est un des meilleurs établissements de l’île en terme d’équipement me dit-elle (mon lycée précédent n’avait pas un vidéoprojecteur par salle, loin de là). Elle me parle de ceux qu’on appelle ici les Popaa (les métropolitains) qui sont nombreux à vouloir s’installer ici puis qui malheureusement méprisent les polynésiens et ne cherchent pas à se mélanger a eux. De ces profs qui ont parfois des logements de fonction et qui font tout faire par l’équipe technique du lycée, y compris pour poser une simple étagère.

Nous nous sommes rendus chez Venus à Papeete. Où on fait le plein de jolis tissus qui serviront de base à de nombreuses créations, des robes incroyables parées de milles fleurs, des pochettes aux couleurs polynésiennes. Les femmes qui s’occupent de nous sont toutes douces, patientes. « Que choisir ? », elles sourient.  » Pas facile hein ? Tout est beau ici ». Elles m’accompagnent, me montrent les nouveautés, m’aident à comparer et attendent patiemment que je me décide. Je repars avec 4 coupons de tissus tous plus beaux les uns que les autres.

Tiaré Trompette. Un nom qui semble sortir tout droit d’une histoire fantaisiste pour enfants. Elle est une des nombreuses prof de danse à Papeete. Mais pas n’importe laquelle. C’est une des plus importantes chorégraphes participant au grand festival de culture polynésienne, le Heiva i Tahiti créé en 1881 par le gouvernement français (qui souhaitait associer les populations tahitiennes aux commémorations du 14 juillet, sic). Pour son groupe, elle supervise les musiques, crée les chorégraphies, les enseigne et imagine les costumes. Bref, une grande dame. C’est la prof de danse de Fanny qui s’immerge depuis 3 ans maintenant dans la culture tahitienne. Tiaré m’invite très gentiment à assister à un entraînement. Elle m’installe une chaise dans le fond. C’est une femme magnifique. Avec son port altier, sa longue chevelure nouée dans un chignon ample au-dessus de la tête, drapée dans une incroyable robe rouge toute fluide, elle passe dans les rangs, corrige des positions, lance différentes musiques. Avec le regard sévère de la professeur qui traque les erreurs, ses lèvres rouges vermeille pincées, elle donne inlassablement la mesure. Le rythme est soutenu, les danseuses sont bientôt couvertes de transpiration. Alors que le cours se termine, des jeunes femmes incroyablement belles se préparent à l’extérieur et répètent des mouvements. J’assiste à deux répétitions en une. « Ce sont les professionnelles !  » me souffle Fanny entre deux enchaînements.

Les employés de Easy Market qui rient de bon cœur à me voir en pâmoison devant les vitrines de yaourt, de fromages et autres douceurs typiquement françaises. On échange quelques mots en riant. Ils me demandent d’où je viens et compatissent quand je leur explique la lutte potentielle que c’est de trouver à San Francisco de la bonne crème, du bon lait, du bon pain, de bons yaourts. Je leur dis qu’on arrive à s’en sortir mais que finalement, tout ça nous manque beaucoup et on a fini par s’habituer à « un autre goût ». Pour preuve, ma dégustation d’un verre de lait demi-écrémé quelques instants après à la maison. Le bonheur ne tient pas à beaucoup de choses !

Cathy est le skipper du Catamaran Ti Motu. Elle nous emmène, avec son acolyte vers l’atoll de Tetiaroa, parfaitement inhabité. 7h de bateau aller/retour pour 5h sur place. Cathy, petit personnage fluet de la quarantaine, hyper sportive et discrète, est aux petits soins. Elle nous sert des gâteaux, nous abreuve de conseils et vient même nous tendre des cirés quand, « du jamais vu » me dit le capitaine, deux personnes restent sur le pont alors qu’il pleut à verse. Les cheveux décolorés par le sel et le soleil, Cathy a le pied marin. Elle traverse le pont en long, en large et en travers, noue des cordes, tient la barre parfois. Elle a passé toute sa vie ici à Tahiti. Elle a fait plein de boulots avant puis elle a décidé de faire ce qu’elle aimait. Cela fait 1 an qu’elle est guide et skipper et elle attend qu’une chose : la haute saison, pour pouvoir « rencontrer beaucoup de monde et aller tous les jours à Tetia’  » comme elle dit. Amarrés au bord du récif, nos camarades d’escapade se jettent tous volontiers à l’eau pour voir le bleu immense s’étendre sous leurs pieds. Il y a 30m de fond ici me dit Cathy, et des requins. « Mais ne t’inquiète pas ce sont des petits requins pointe-noire et des requins citron qui font un peu moins de 2 mètres. Il faut pas chercher à les approcher et ça ira ». Forte de ces paroles avisées… je décide de rester sur le bateau. Et elle me rappelle Cathy :  » Tu es sûre ? Je vais nager avec toi ne t’inquiète pas ». Alors je m’y mets, à moitié sûre de moi. Le bleu est immense et le soleil jette ses rayons tout autour de nous. Dans mon petit maillot de bain, avec mon tuba et mon masque, je n’en mène pas large. Je n’ose pas regarder en dessous et derrière de peur de voir un profil à ailerons reconnaissable. On aperçoit une raie, d’énormes balistes. Puis on retourne vers le bateau. Un requin pointe noire quelques mètres sous nos pieds, j’ai le temps de filmer un petit bout. Et puis alors que l’on se retourne, deux énormes requins citron de 2 mètres nous font face et nagent de manière calme et assurée dans notre direction. Tandis que les scènes des Dents de la Mer défilent devant mes yeux paniqués, Cathy me prend immédiatement la main comme elle le ferait avec un enfant et me fait signe de rester calme. On reste immobiles, toutes droites sous l’eau, ne palmant que pour garder les requins en vue. On les regarde passer à côté de nous, je ne respire plus. Puis on contourne le bateau en nageant main dans la main pour remonter. Alors que j’ai cru ma dernière heure arrivée, Cathy me lance avec un grand sourire « alors c’était pas super ? Incroyable hein ? ».

Tahiti, c’est aussi son lot d’expatriés qui a plus ou moins roulé sa bosse et vu du pays. On rencontre ainsi David et Marc, respectivement profs de Biologie et de Physique Chimie, nommé aux lycées de Moorea. L’un a fait la Nouvelle Calédonie avant, l’autre débarque de Dunkerque. Ils me racontent la difficulté des établissements sur Moorea, les difficultés d’enseigner aussi qui relèvent du choc culturel. Et l’isolement aussi dans ce petit morceau de paradis terrestre.

Kenny, « rae-rae » travaillant pour l’Amap bio, m’ouvre par sa présence à une réalité que je ne connaissais pas. Avec son collègue, il ou plutôt « elle » livre chaque vendredi des paniers bios aux « abonnés » de Papeete. Un rae-rae, je l’apprends de Fanny, est ce que l’on pourrait appeler simplement un travesti. Un homme qui progressivement se transforme en femme via des hormones voire même par le biais d’opérations. Les sourcils délicatement épilés, elle nous salue d’une voix fluette et remplit le panier de Fanny avec des gestes posés et délicats, malgré sa carrure imposante d’homme. Timide et effacée, elle entame une petite conversation que je lance au sujet des fruits qu’elle vend. Il y a du Jacques alors je lui explique comment on l’utilise à la Réunion et elle me dit comment on le cuisine ici. J’apprends en faisant quelques recherches que les rae-rae sont connus depuis Bougainville et Cook. Le flou règne sur cette identité différente (ni homme, ni femme, pas du tout homosexuel, pas troisième sexe non plus…) mais les rae-rae sont tolérés de longue date dans la société comme des garçons différents auxquels une éducation différente est donnée. Les souffrances (non acceptation, prostitution) existent et l’intégration n’est pas aussi pleine et entière que celles des Mahus (hommes efféminés habillés en hommes et qui pour certains, connaissent un vrai succès).

Il y a Edouard aussi. Lui aussi m’ouvre à une réalité peu envisagée par moi jusqu’alors. Parce que je ne m’y suis pas – jamais – vraiment intéressée tout simplement. La Polynésie est une collectivité d’outre mer avec une très large autonomie politique. Elle a donc une assemblée, un exécutif composé d’un gouvernement et … d’un président : Edouard Fritch, un gaulliste entré en politique dans les années 1980. J’ai l’occasion de le voir avancer devant le char de Vaimalama Chaves qui défile à Papeete pour célébrer son titre Miss France. Ordonnateur du budget du pays, il promulgue les lois, représente le pays, a des fonctions diplomatiques et travaille main dans la main avec le Haut Commissaire de la République, représentant de l’Etat français en Polynésie.

La communauté chinoise (et asiatique plus largement). Ils sont nombreux sur l’île. « Ici on dit pas qu’on va au magasin mais… Qu’on va chez le chinois » me dit Anne. Un peu comme sur l’île de la Réunion. Ils possèdent des petits commerces, des boutiques de perles, des roulottes sur la place centrale… Je les regarde cuisiner, enchaîner les commandes et tandis que je demande l’autorisation de prendre une photo, l’une d’entre elles sourit. Ils représentent environs 12% de la population ici. Les premiers chinois sont arrivés dans les années 1860, comme coolies. Wen, bijoutier spécialisé sur la nacre très connu ici, est né ici dans les années 40, d’un père chinois retourné au pays et d’une mère polynésienne. Robert Wan, bijoutier perlier dont les immenses publicités s’affichent en ville est issu également d’un papa qui a quitté la Chine au début du XXe siècle. Terre cosmopolite par excellence, Tahiti a été marquée par des décennies de migration chinoise, transformant en l’enrichissant sa population…

Il y a Moana Iti, 1 an et demi. Petit bonhomme qui court cul nul sur la plage des Tipaniers à Moorea. Il est grand, sourit à grandes dents et est très intrigué par Lucie à qui il fait deux bisous. Moana Iti, (petit océan), est né d’une maman Tahitienne et d’un papa Popaa (expatrié, de métropole). Le papa, jeune prothésiste dentaire tatoué, est venu s’installer il y a 8 ans à Moorea, s’est marié, a fait un enfant puis a divorcé. Seul, sans famille et sans attaches, il a été rejoint par sa mère, Corse au caractère bien trempé qui a décidé de s’installer avec son fils unique et son petit fils à Moorea. On discute quelques instants, installés sur le sable chaud avec les deux grands-mères de Moana Iti. Notre Corse nous raconte sa vie, son choix de venir vivre ici, la pluie et le beau temps. Et alors que l’on prend congé pour rentrer sur Tahiti, elle nous lance « Oh et bien allez, je te fais la bise tiens ». Ah oui, parce qu’ici, tout le monde se tutoie. Elle nous souhaite un bon retour chez nous, puis en France. On lui souhaite une belle vie au bord du lagon.

Ah et puis j’allais oublier dans ma galerie de portraits. Il y a Fanny, la jeune expatriée dynamique et généreuse. Une personne étonnante qui a fait (une partie de) sa vie à Tahiti. Passionnée et engagée, elle se dévoue corps et âme pour notre bien être. Elle fait des aller-retours en voiture pour ne pas réveiller Lucie pendant que l’on visite, garde les filles pour nous envoyer sur un atoll en amoureux, cuisine de bons petits plats, s’occupe de prendre les photos, et refuse qu’on l’aide à plier le linge. Ne dit pas non au Mojito et aux petits gâteaux, regorge d’idées folklo et est particulièrement douée pour planter un air de musique Carioca dans la tête. On la connaît bien Fanny pourtant. Mais on la redécouvre encore, en Tata(iti) affectueuse, belle soeur incroyable qui donne d’elle sans compter.

Tahiti c’est donc un peu tout de tout cela. Une population bigarrée, diverse, mélangée, riche, qui vient d’un peu partout et se mélange plus ou moins sur ces petites paillettes de terre pour profiter du paradis terrestre.

A bientôt pour l’épisode 2,

C, G, L&L

Quelques réponses à vos commentaires :

@Cesbron : Un rêve éveillé en effet, il n’y a pas d’autres mots… Attends de voir le prochain post… !

@Seb : Bonne année à toi aussi cher cousin ! J’espère que vous profitez toujours aussi autant de la douceur de la cité Phocéenne !

@Zaza : Bonne année à vous 3 ! Hâte de vous revoir… dans votre nouveau chez vous !

@Fred, Mel, Camille et Léa : comment ça ils te regardent tu les regardes les choux de Bruxelles ?? Bon, je vais tenter d’autres recettes…

4 thoughts on “Alors la Polynésie, c’était comment ?

  1. Comme un air familier, je (re)découvre certains portraits d’un autre point de vue, celui de « l’intérieur » presque !
    Beaucoup font partis de notre quotidien, on s’attache aux gens ici, on y peut rien, c’est ainsi. Le retour sera difficile, mais en cas de coup de mou je reliera ce billet pour me remémorer ces gens (extra)ordinaires. Merci pour la dame aux mojitos à la fin 😉

  2. Céline dans son blog : « Tahiti……………paradis terrestre. »

    moi devant une émission télé avec Vaimalama Chaves: « o.m.g. , Tu m’étonnes ! »

    Guy, Céline , les filles , Bertrand et Fanny : gros bizous et bonne année 2019 les globes trotteurs !

    Kenavo

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