New Orl’ins

Un homme joue de la trompette au coin de la rue, de la dentelle de fer drape les bâtiments et nargue les perspectives. J’ai les pieds plantés dans le Mississippi, les yeux dans les cieux et les oreilles dans le Jazz. La brise souffle un air doux, humide et chaud qui fait du bien. Juste là, au détour du fleuve, le bateau à aubes est prêt à partir. Je me promène, je regarde, je m’arrête. Interpellée, curieuse. Ça sent bon l’encens du côté de la boutique vaudou. Ici, c’est plutôt la langouste grillée, là le gumbo et là-bas les épices. Ça sent le cajun, le créole surtout. Un jeune sort une énorme contrebasse noire et se met à jouer, accompagné par un autre à la guitare, qui chante d’une voix puissante et rocailleuse. Plus loin, un bonhomme haut comme trois pommes tape avec un rythme effréné sur des caisses. Il va faire lever les habitants du cimetière voisin, c’est certain. Il y a des rocking chairs sur les balcons à la peinture défraîchie. Certaines semblent se balancer encore. Le vent s’engouffre dans les feuillages majestueux des chênes verts tandis que les cloches de la Cathédrale Saint Louis raisonnent. Et autour de nos têtes virevoltent d’énormes libellules, tout aussi nonchalantes que les gens. Il y a de la couleur ici. Des gens de tous horizons. Il me semble que je vais voir surgir au détour d’une rue, le fantôme d’Atticus Finch, le héros de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Je suis transportée en un instant dans le vieux sud des années 30, saoulée de musique, de rythmes, de gospel et de jazz. Mes pas me portent de boutique d’art, en galeries, en veilles pharmacies, en antiquaires. Il est 14h, 16h, 20h. Les gens font la fête. Rien ne semble pouvoir arrêter cette douce folie insouciante, ce flegme et cette langueur qui s’empare d’eux. Mettre un pied à New Orléans, c’est comme passer dans un autre monde.

Tout autour de La Nouvelle Orléans, se trouvent plus de 300 plantations. De ces plantations popularisées par Autant en Emporte le Vent, campant la vie des maîtres et des esclaves dans la Louisiane du XIXe siècle, il ne reste parfois que peu de traces. Certaines ont survécu jusqu’à aujourd’hui pour porter la mémoire des familles de maîtres et surtout des générations d’esclaves dont seuls les prénoms nous sont parfois parvenus. C’est le cas de Louise, 9 mois, vendue pour 40.000$ avec sa mère. Sa vie, son destin sont à jamais perdus. Des prénoms, des parcours qui se perdent, des destins terribles, tragiques et parfois porteurs d’espoirs. A Oak Alley, la visite est splendide. On accède à la maison des maîtres côté Mississippi, par une allée de 28 chênes verts dont l’effet est saisissant. La demeure est incroyablement belle et porteuse en même temps d’une mémoire terrible et sombre. Sur les terres où je me tiens, sont nés, ont vécu et sont morts des centaines d’esclaves. Vie de souffrance, d’humiliation, de privation et de tragédie et d’injustice. On se promène sur ces terres en ressentant un certain malaise, un arrière goût amer que l’on peine à identifier de prime abord. A Laura, la visite est effectuée par Lawson, jeune afro américain créole qui – en conséquence – parle français. Un français tinté d’un agréable accent qui sonne doux aux oreilles. Lawson est fier de faire cette visite en français : « Il nous faut préserver notre langue, notre héritage créole qui contrairement à ce que tout le monde croit, n’a rien à voir avec les Cajuns, les Acadiens ». Lawson nous raconte avec passion et emphase l’histoire de la plantation Laura. L’histoire surtout de ces femmes « directrices » de la plantation qui, tantôt acariâtres, tantôt cruelles, ont tenu d’une main de fer ce morceau de terre en bordure du Mississippi. Cruelles… jusqu’à Laura, la dernière « maîtresse » dont on a tiré le nom de la plantation. Il nous raconte de terribles anecdotes qui plus d’une fois m’arrachent une larme, nous emmène voir les minuscules cases des esclaves, habitées jusque dans les années 1970, répond à nos questions et nous raconte les longues soirées d’été pendant lesquelles les esclaves contaient les aventures de Compère Lapin (en français créole) à leurs enfants… Forcée à me ranger dans une catégorie depuis mon arrivée aux Etats-Unis (on ne demande sans cesse sur les papiers administratifs de cocher au choix la case « blanc, noir, ou hispanique »), cette histoire de l’esclavage raisonne étrangement en moi. Moi qui ne suit en rien liée à cette histoire de la traite Atlantique, je m’identifie malgré tout facilement – rapidement – à ces destins brisés.

Il existe à la Nouvelle Orléans, un temple. Un lieu sacré. Le Saint des Saints pour écouter du Jazz : Preservation Hall. Une minuscule salle de 30m2 tout au plus, aux murs décrépis et jaunis par le temps. Quelques rares tableaux, des fenêtres tintées, 4 bancs et quelques mousses au sol. Pas de photographies, pas de cigarettes. Pas de micros, pas d’amplis. 8 musiciens s’avancent : 7 noirs et 1 blanc. Il y a un piano, deux saxophones, une trompette, un trombone, deux batteries et une contrebasse. Les musiciens démarrent après 2 mots prononcés par le papy de la bande, qui doit avoir dans les 85 ans. Dans son petit costume élimé, un poil trop grand, il se tient devant nous et annonce fièrement le début du concert. Les musiciens entonnent des morceaux, puis se lancent dans des solos salués chaque fois par un tonnerre d’applaudissements. Sur les bancs, on se relaxe, on se détend au rythme des vieux blues et du jazz. Des souvenirs d’enfance remontent, des bribes d’histoire de l’esclavage, des larmes aussi. La salle est pleine d’émotions. La musique est pure, belle, unique. On vit l’instant comme enfermés dans une bulle hors du temps. Les musiciens sont passionnés. On tape vite le rythme du pied, tandis que la tête bat la mesure. Un jeune au chapeau, lunettes et chemises à carreaux, tout droit sorti d’un film des années 50, commence à chanter. Il a une voix puissante et douce et il entonne – presque timidement – les premières mesures d’un chant dont le refrain se termine invariablement par « back to New Orleans ». Puis tous reprennent en coeur des couplets. C’est si beau que s’en est émouvant. Puis le papy se met à chanter d’une voix tant fluette que basse dont je n’entend que quelques mots « I Can sing the blues ». Je sors de ces 45min de concert totalement secouée. Cette incroyable expérience musicale a eu quelque chose de mystique, d’intime qui continue de faire battre mon coeur tandis que je retourne prendre le cable car pour retourner à l’hôtel.

La Nouvelle Orléans. « New Orl’ins »comme on dit ici, très vite. Toute une atmosphère, une ambiance qui fait du bien. De retour de ma folle expédition qui m’emmène des bords du Mississippi aux rives de l’Atlantique à Miami (où je rejoins mon groupe de 4ème), je ne vais avoir de cesse de vanter auprès de Guy cette ville et son univers, que j’ai à peine eu le temps d’effleurer. Il faudra y venir, y revenir, se perdre dans le bayou et se frotter à cette histoire si dense. Il faudra y revenir.

A bientôt pour la suite des aventures (j’essaie de rattraper le retard, promis, tout en essayant de ne pas vous ennuyer/ noyer avec mon rythme infernal !)

C, G, L&L

@Manuella : Merci ma chère Manue ! Fidèle de la première heure, je suis ravie de savoir que tu es toujours dans les parages : )
@Fred, Mel, Camille & Léa : S’il fait beau sur les photos d’Hawaii, sache qu’il fait toujours aussi moche à SF. De la pluie, de la pluie, de la pluie (et le cortège de rhumes, toux qui va avec). On vous embrasse tous les quatre !

4 thoughts on “New Orl’ins

  1. J’aimerais que tu lises un jour la saga de Maurice Desnuzières : Louisiane, Fausse Rivière, Bagatelle, et la suite… Cette saga commence fin 18ème… Et tu retrouveras un peu de cette ambiance que tu décris si bien. Et aussi une partie de la triste histoire de l’esclavage aux États-Unis. Maman

  2. Qu’est ce que tu écris bien, je le sais déjà mais je suis toujours ébloui et à peine commencé la lecture je suis emporté dans le bayou…

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