Carnet de voyage à Hawaii – épisode 1

Notre première impression d’Hawaii est une immense surprise. Nous n’avons que peu préparé le voyage en amont, par manque de temps bien sûr, mais aussi par choix. Du coup, on ne s’attendait pas à cela (puisqu’on ne s’attendait à rien – je ne sais pas si vous me suivez) . Alors que l’avion descend vers la plus grosse île de l’archipel – Big Island – nous avons tout le loisir d’observer les flancs de ce petit morceau d’Amérique. De là-haut, l’île est bien différente des autres îles que nous avons eu la chance de visiter. C’est une énorme masse de roches volcaniques qui s’étale devant nos yeux incrédules. De ses flancs pentus, s’étirent des fleuves de magma depuis bien longtemps refroidis, qui strient l’île de part en part, comme autant de cicatrices. De vastes plaines littorales à l’aspect pelé et jauni s’achèvent de façon abrupte dans l’océan où viennent frapper avec colère d’énormes vagues. Par endroit, des touffes de verdures s’étalent, contrastant admirablement avec les plaines noires comme la nuit, où le chaos et l’enchevêtrement atteignent une fascinante perfection. On est loin des clichés des cartes postales. Big Island n’est pas une belle île. Mais elle est impressionnante. Et en cela, elle est captivante.

Tandis que l’on file vers le Sud dans notre voiture fraichement louée, l’alternance des paysages que l’on regarde par la fenêtre est étonnante : plaine fertile, bocage normand, large coulée de lave, forêt battue par les vents, amoncellements fragiles de scories. On a l’impression de traverser la région du Grand Brûlé réunionnais. Un Grand Brûlé qui s’étendrait à l’infini. D’un coté, s’étend la montagne et les cimes de l’incroyablement massif Mauna Loa, de l’autre l’océan à perte de vue. Et de ci, de là, d’étonnantes et familières petites cases devant lesquelles sont garés d’immenses pick-ups. C’est d’ailleurs là que gît tout l’incroyable et détonnant mélange d’Hawaii : des paysages familiers, ancrés dans l’imaginaire et la réalité des îles tropicales (les cases, les palmiers, les toits en tôle) mais dans un contexte tout américain (les signalisations routières, les pick-ups, et… les fast-foods). Par chance toutefois, nous démarrons notre périple hawaïen dans une zone très rurale, à dix mille lieues des poncifs qui entourent un voyage à Hawaii. Alors oui bien sûr, nous irons à Honolulu, voir Waïkiki et nous prélasser (rapidement) sur quelques plages paradisiaques. Mais pour l’heure, c’est pique-nique, chaussures de randonnée et campagne pluvieuse.

Bien installés dans une petite case isolée au milieu des champs de Lave, on consacre notre première journée au Kilauea. Je réalise un rêve de petite fille tandis que mes yeux parcourent l’immensité lunaire de la caldeira du Kilauea. Moi qui avait pour héros Haroun Tazieff et Maurice et Katia Kraft, je me trouve là. A mes pieds, gît un monstre de lave qui compte parmi les plus actifs au monde. La dernière éruption – celle de 2018 – a laissé de profondes empreintes sur le Volcanoes National Park : de nombreux sentiers de randonnée sont fermés et on ne peut plus faire le tour de la caldeira comme jadis. « It’s more likely closed forever » nous dit un ranger auprès duquel on s’enquiert de la situation. Le cratère s’est effondré sur lui même et a doublé en profondeur et en taille. Les milliers de secousses sismiques ont eu raison de la route et on est obligés d’abandonner la voiture pour continuer à pied tant les entailles sont profondes. Il nous semble être arrivés aux confins du monde : le spectacle est incroyable. Devant nous s’étire dans une dimension qui nous semble infinie la gigantesque caldeira d’où s’échappent des fumées. Le paysage est lunaire, tantôt tourmenté, tantôt lisse et rectiligne. On imagine sans peine la progression rapide, chaotique et destructrice d’immenses flots de lave que rien n’arrête, finissant leur course dans l’océan quelques miles plus loin. On profite de la quiétude de l’instant (peu de personnes viennent jusqu’ici, les trois petits miles A/R arrêtant sans doute quelques personnes) pour expliquer à Louise ce qui se passe ici, lui montrer les fumées, les fissures. On écoute la lave craquer sous nos pieds. Et on prend de grandes gorgées de cet air si particulier (et familier) qu’a le sol volcanique et sa végétation après la pluie.

Puisqu’on est là, loin de tout, on visite le grand Sud – district de Ka’u. Le Sud, très largement délaissé, est caractérisé par la présence de dizaines de petites plages au sable volcanique, des vents incroyables, des paysages arides et des pluies intermittentes. A Black Sand Beach, des tortues ont coutume de venir se reposer et pondre. A Honomalino Beach, on se retrouve quasiment seuls. Le mile de randonnée à travers les coulées de lave sous un cagnard de plomb décourageant certainement les plus téméraires (non pas que nous soyons téméraires, mais on ne savait pas à quel point on allait galérer avec nos sacs, notre parasol et nos filles). Ou bien est-ce le fait de traverser un « village-casse » à la Mad Max, peu accueillant et la multitude de panneaux « Keep out » ? Toujours est-il qu’il n’y a pas grand monde. Par chance, un local très sympathique nous indique la route à suivre vers le petit paradis perdu. Surtout, le district de Ka’u abrite la zone la plus au Sud d’Hawaii et de fait, de tout le territoire états-unien : South Point. Un tas de falaise abruptes battues par les vents et d’où de doux dingues se jettent régulièrement pour s’amuser. Tout là-bas en face, se trouvent les Îles Kiribati et la Polynésie française. A défaut de faire le grand saut, on profite de notre présence à Na’ahelu pour s’approvisionner en délicieux sandwichs à emporter dans « le restaurant le plus au sud des Etats-Unis », et s’empiffrer de gâteaux plein de crème dans « la bakery la plus au Sud des Etats-Unis ». Bref, on est tout au sud donc. En grimpant dans les hauteurs de Na’ahelu, on tombe sur une ancienne route qui servait à charrier les cannes à sucre. Elle est parallèle à la highway moderne qui ceinture toute l’île. Sauf que sur the Old Cane Road, il n’y a personne si ce n’est nous et des vaches. Un très joli aperçu de l’intérieur de l’île et de ses cases centenaires, sur les pentes douces du Mauna Loa, qui colle parfaitement avec l’image que l’on pourrait avoir du monde perdu de Conan Doyle.

La Chain of Craters road, autre section du parc des volcans, nous attire. Dans le Volcanoes National Park, une route panoramique à nul autre pareil nous emmène de la caldeira du Kilauea jusqu’à l’océan, en pente douce. On suit les coulées successives qui, années après années ont sculpté le paysage et on passe de cratère en cratère. Les points de vue sur le littoral, quelques 30 miles plus bas sont renversants. De là-haut, on prend toute la mesure de l’ampleur des coulées qui se jettent du haut des falaises abruptes contre lesquelles viennent frapper des vagues incessantes. Là, à plusieurs mètres au-dessus de l’eau, ballottés par un vent assourdissant, on est saisis par le très productif mélange des éléments : la terre, le feu, l’eau, l’air. Les vagues ont fait leur œuvre et creusé une arche qui nous rappelle un coin de France. Les coulées sont un terrain de jeu infini pour Louise qui se glisse dans les cassures, grimpe au sommet des monticules, court partout, randonne et note la façon dont la lave a séché : cordée, en bulles, lisse… Le Pu’u Loa trail nous réserve une belle surprise : des pétroglyphes tracés directement dans la roche volcanique entre le XIIIe et le XVe siècle par les hawaiiens avant l’arrivée des premiers européens. Des cercles dont on ne connait pas totalement la signification, des formes anthropomorphes et des signes non identifiés. Il y en a plus de 23.000 dans ce petit coin isolé de la côte. La Chain of Craters Road est un ravissement incessant pour les yeux. On pourrait rester des heures à observer le ballet des nuages gonflés de pluie, les assauts incessants des vagues, le miroitement permanent des couleurs qui font de cette partie de Hawaii, un kaléidoscope hypnotique géant. Bon, mais certaines petites personnes savent nous rappeler à l’ordre.

La côte de Kilua-Kona nous occupe quelques jours. On vise une petite plage prénommée Magic Sand Beach, à quelques miles au Sud de Kona. La plage est petite mais est un joli concentré d’Hawaii. Des roches volcaniques, du sable blanc, des palmiers, un lifeguard comme dans Alerte à Malibu. On se sent totalement novices par contre : tous nos vêtements sont très vite remplis de sable, Guy s’échine à planter un parasol dans de la roche, les sacs avec l’eau fraîche sont au soleil, les serviettes trempées et… Lucie a du avaler la moitié de la plage et se mettre l’autre moitié dans les yeux. Mais les filles se sont bien amusées et Louise a même pu barboter avec une gigantesque et placide tortue verte venue se repaître des algues sur les rochers. Dans l’eau jusqu’à la taille, on la regarde à nos pieds, se laisser aller dans les vagues et arracher quelques morceaux d’algues avant de repartir vers le large. Une vision incroyable. La côte sud de Kona est belle, vallonnée, verdoyante. On quitte la highway pour prendre une route adjacente qui serpente entre les cases, les églises blanches, les plantations de café ou de noix de Macadamia. C’est très beau et de chouettes points de vue sur la côte se dévoilent à chaque virage, entre majestueux banyans, papayers et autres bananiers. On s’arrête manger des plats qui sonnent japonais et Guy en profite pour goûter une spécialité d’Hawaii : de l’effiloché de porc braisé cuit dans des feuilles de choux. Un délice (et hop, 60$ la note pour 3 personnes. Le budget de 2 jours de courses soit 6 repas pour 4) !

A Kona, on en apprend plus sur l’histoire – très largement méconnue de nous – de Hawaii, des premiers polynésiens à son annexion manu militari par les Etats-Unis fin XIXème. Sur la côte , il y un territoire toujours très sacré aujourd’hui, au cœur des croyances hawaïennes ancestrales et de la monarchie : Pu’uhonua. Une zone a laquelle seule une catégorie sacrée de la population avait accès et sur laquelle on trouve toujours aujourd’hui, entouré de tikis majestueux et effrayants, un mausolée abritant les ossements des anciens chefs démembrés – comme le veut la tradition – à leur mort.

Nous décidons de passer une dernière journée dans le parc des volcans, mais dans Le Kahuku unit – la dernière addition au Hawaii Volcanoes National Park. Il s’agit d’un achat de plusieurs milliers d’hectares effectué par le gouvernement en 2003, qui nous offre la possibilité de randonner le long de coulées du XIXe siècle. Très peu développé et sous visité – pour le moment – il permet de s’enfoncer dans les terres de Big Island et de randonner dans la campagne avec pour seuls compagnons, les arc-en-ciels, les mangoustes et le bruit de la lave qui craque sous les semelles. On grimpe au sommet d’un cône volcanique que l’herbe et la mousse ont depuis bien longtemps rendu hospitalier. De là-haut, on voit toute la plaine jusqu’au Pacifique.

Big Island était un pari risqué. Loin des lieux communs, c’est une île très sauvage, aride en un sens mais haute en couleurs, attachante et épatante. Les heures de route sur l’unique route à une voie qui ceinture l’île sont parfois complexes, longues et monotones mais les points de vue sont toujours spectaculaires. Accompagnés par une pluie fine et son cortège d’arcs en ciels, nous avons fait à Big Island un beau voyage . Il faudra y revenir, c’est sûr pour aller au sommet du Mauna Kea côtoyer les étoiles et retourner au Kilauea pour peut-être avoir la chance de voir la lave se déverser dans l’océan. A bientôt pour le carnet de voyage à Hawaii, épisode 2,

C, G, L&L

Quelques réponses à vos commentaires :

@Nils & Léa: Bien joué ! Non pas d’Iron Man c’est certain ! Alors oui, le Mauna Kea est un volcan ! J’ai lu que techniquement, de sa base sur le plancher océanique jusqu’au sommet, il est bien plus haut que l’Everest. Ce qui est fait le volcan et de fait la montagne la plus haute du monde : ) Tout dépend après d’où l’on part pour calculer la hauteur des sommets : )
@Colette : Ravie de vous retrouver ! Oui les filles grandissent bien ! Louise fête ses 5 ans et Lucie va avoir 1 an déjà… le temps passe tellement vite !
@ Fred, Mel, Camille et Léa : On a bien profité merci Mel ! Pour ce qui est de Notre Dame, on a eu les nouvelles en direct juste avant de monter dans l’avion. Autant te dire que nous avons eu le coeur brisé. A Hawaii les gens nous en on parlé aussi, certains pensant que l’incendie était criminel. J’ai l’impression que la reconstruction qui s’amorce n’est pas des plus joyeuses…
@Manu : Merci mon cher Manu. Bien joué pour la destination en effet, nous étions sur les traces des Schavs ! Quant à mes 7 niveaux… j’y retourne dès demain pour la dernière ligne droite !

One thought on “Carnet de voyage à Hawaii – épisode 1

  1. C’est magnifique ! 😮
    Tu vas trouver ça bizarre mais je ne pensais pas qu’il y avait de l’herbe à Hawaï ! C’est perdu au milieu du Pacifique, je pensais qu’il n’y aurait que de la végétation endémique. Je suppose que ça a été ramené volontairement ou non par les colons états-uniens ?

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