Du soleil comme s’il en pleuvait ou le revenge travel

En camping car dans les vignes – Petit précis de voyage sensoriel et d’aventures tout à fait ordinaires.

L’année n’est pas à la fête pour qui bouge, voyage, se promène, baguenaude. Pas simple de prévoir à l’avance des explorations et autres excursions. Toutes celles que nous avions prévues de longue date ont été annulées les unes après les autres. Comment réinventer le voyage quand les frontières sont fermées et le périmètre de nos mouvements plus que restreint ? Je peux toujours me lancer dans des Time Machines comme en avril l’année dernière, mais c’est quand même du boulot. Et puis on voudrait bouger pour de vrai. Alors que les vacances de la Toussaint se profilent, on commence à sérieusement s’interroger : et si on partait ? Mais où ? Et Comment ?

Guy rentre du boulot un soir d’Octobre puis me dit : « Tu as vu, les voisins d’en face ont un camping-car ». Ni une ni deux, je décide de tenter le tout pour le tout. On ne se connaît pas mais je sonne chez eux : « Bonjour, je suis la voisine d’en face » dis-je avec un grand sourire à l’homme à l’air revêche qui ouvre la porte. « Oui oui je sais bien, je vous vois de temps en temps » me dit-il sans vraiment me rendre mon sourire. « Dites, voilà avec mon mari et nos deux filles, on voyage pas mal. On aurait aimé s’acheter un camping car, mais on vient d’acheter une maison en face de chez vous et on en a pris pour un paquet d’années. Bref. Vous loueriez pas votre camping car par hasard ? ». D’abord décontenancé, le voisin me dit que non, ce n’est pas du tout dans leurs mentalités à lui et sa femme. Je m’en vais avec le sourire en lui disant que ce n’est pas grave, que je n’avais rien à perdre à demander. Et puis 3 jours plus tard, le téléphone sonne. C’est sa femme. « On ne loue pas mais bon… c’est vrai que vous habitez en face, il n’y a pas de risque que vous ne reveniez pas. Alors pour vous on accepte ». Le contrat est scellé : on leur emprunte pour une somme dérisoire leur super camping car et on part 1 semaine se perdre dans la Loire. Ils nous bichonnent le camion, nous mettent les couvertures, vérifient que le chauffage fonctionne, nous donnent une application pour aller dormir dans les vignes puis nous souhaitent bonne route. On leur apporte des chocolats et on leur promet de leur envoyer des photos de notre voyage régulièrement.

Voilà. C’était tout simple finalement. On part le cœur léger, heureux de notre affaire. Quel plaisir de se lancer sur la route. Un peu comme en Alaska mais… en plus petit. Beaucoup plus petit.

Arrêt #1 – Bon, on va où ?
On a fait aucun plan. Juste rempli le camion de nourriture et de vêtements. C’est une fois arrivés sur l’autoroute A4 qu’on se demande : « Bon, on va où ? Vers la mer ? Vers les châteaux ? ». Les filles votent châteaux à l’unanimité. Alors hop, on descend vers la Loire. Un peu frileux pour démarrer notre premier voyage en camping car (qui plus est, pas le nôtre), on vise Chambord et on décide de passer la nuit sur un petit parking payant sans charme mais qui présente l’avantage énorme d’être installé littéralement aux pieds du château et des jardins. On est a portée du son de la chapelle attenante et à portée du brame du cerf qui nous surprend de bon matin alors qu’on s’extraie tranquillement de notre petite maison roulante. On visite les jardins jusqu’à la tombée de la nuit, on fait le tour de l’étang à pied en ramassant des feuilles mortes. Il n’y a pas grand monde et on a tout le loisir de regarder l’impressionnante forêt de cheminées qui couvrent le splendide édifice.

La visite que nous avions déjà faite à deux il y a des années est une découverte pour les filles. Lucie est fascinée par l’escalier central à double révolution (dans lequel elle se perdrait facilement), Louise est impressionnée par les cheminées sur le toit et repère les salamandres de François 1er partout. Il pleut en bruine légère mais on est heureux de se promener ici. Et puis on sait qu’on a pas loin à aller pour rentrer « chez nous ».

Arrêt #2 – Dans les caves du père Auguste
Pour notre deuxième arrêt, on se lance franchement et on va s’installer sur le terrain d’une famille de vignerons grâce à l’application proposée par nos voisins. Le terrain est parfait, installé au creux d’un village en face des caves du Père Auguste. Et puis… c’est gratuit. Il y a même une balançoire pour les filles, une boulangerie à deux pas. On va très naturellement à la rencontre de nos hôtes, alors en pleine dégustation de vin avec des clients. On nous invite très gentiment à faire le tour des caves, à regarder les productions. On pense revenir le lendemain acheter une bouteille. La nuit est calme et les caves sont à deux pas du château que nous sommes venus visiter : Chenonceau. Le temps en revanche n’est pas de la partie. Il pleut à tout rompre. Le temps de traverser les jardins et nous sommes trempés. On ne comptait pas visiter le château mais vu le temps, on renonce. On va de salle en salle et Louise ne retiendra que la chambre de Louise de Lorraine : endeuillée après la mort de son mari, celle-ci fait recouvrir sa chambre de tapisseries de velours et de damas sombres. La chambre est intégralement noire, ce qui vaut à Louise cette réflexion « C’est pas parce qu’on est triste qu’il faut vivre dans le noir quand même… ».

Arrêt #3 – Où on commence à sentir la chèvre
On s’arrête dans une nouvelle petite ferme. Cette fois-ci chez un producteur de fromage de chèvres. On est accueillis par un petit monsieur râble à l’air débonnaire, la franche soixantaine. Il a les joues un peu rouges, il est en tenue de travail et décharge des sacs de grains dans la grange quand on le rencontre. Ici, on nous donne de l’eau gratuitement alors on file se brancher sur le réseau de ville dans la ferme. Il faut tirer le tuyau sous le camping car et pour cela s’allonger dans la boue et s’y vautrer franchement pour attraper ledit tuyau. Très naturellement notre hôte vient nous aider. Son épouse nous avait demandé de ne pas mettre d’eau au sol, ce qui est loin d’être évident, le raccordement se faisant de façon très juste. Le monsieur nous rassure : « Ce n’est rien, ça va encore mais il faut éviter de mettre de l’eau ici parce que c’est le passage pour la salle de traite et les chèvres ont peur quand elles voient de l’eau au sol ».

Ce petit monsieur dynamique est l’heureux papa de trois grands garçons et l’heureux grand-père de 7 petits enfants. Ils habitent tous dans un rayon de 5km maximum, dans les villages voisins. Ils se voient souvent, ce qui fait son bonheur. Trois de ses petits enfants sont nés la même année alors ils ont tous été dans la même classe. Ils sont heureux les cousins dans ce petit coin de campagne. Les voilà qui débarquent d’ailleurs, près à aider au jardin. Il faut retourner la terre, replanter. L’un deux, haut comme trois pommes, débarque sur un mini tracteur à moteur qu’il conduit avec une grande dextérité : les filles sont médusées.

Cela fait 43 ans que notre hôte est éleveur de chèvres dans ce petit coin de la Loire, coincé entre des villages troglodytes que nous avons traversés avec émerveillement. On y accède après une série de lacets où les maisons sont cachées, abritées sous les falaises puis franchement creusées dedans. Tout au bout du chemin, un panneau jauni par le temps arbore une jolie fleur orange sur fond vert. Le signe que nous sommes les bienvenus. On se gare face à une énorme grange. Dedans, 50 chèvres bêlent avec force, se bousculent, jouent, mastiquent. Il y en avait 140 avant. Un sacré cheptel. « Mais je suis à la retraite maintenant depuis quelques temps, alors je réduis » me dit-il. Sa femme ne l’est pas, elle, à la retraite. Elle continue donc encore l’activité. Il faut. Parce que ce petit monsieur qui élève des chèvres depuis 43 ans ne touche que 800 euros de retraite. Il nous dit qu’il compte faire des gîtes sur son grand terrain quand il n’y aura plus la grange. « Pour s’en sortir un peu ». On parle de la pluie et du beau temps, il est content de voir les filles s’amuser comme des folles sur la balançoire de ses petits enfants. « Faut les emmener au Zoo ! Ça vaut le coup. Mais pas demain, ce sera que de la flotte ». Allez c’est décidé. On emmènera les filles à Beauval.

En attendant, on découvre tous ensemble Amboise que nous n’avions jamais visité. L’occasion pour moi de voir pour la première fois la tombe de Léonard de Vinci, pour Louise d’apprécier le panorama et les visites en réalité augmentée. Tout cela pendant que Lucie dort pendant plus de 2h dans le porte bébé. On voulait essentiellement aller à la mer pour manger des moules frites. Qu’à cela ne tienne. Aux pieds du château, on trouve de quoi satisfaire notre gourmandise !

Arrêt #4 – Où on se vautre avec les chèvres
Une petite dame guillerette me vend du fromage de chèvre à tous les parfums  :  cranberries, poivre, échalote, abricot, tomates séchées… On craque pour la figue. Sur les étals, du miel, des rillettes, des œufs…
Elle nous dit de nous garer sur son vaste terrain mais devant la balançoire car le sol y est un peu empierré. On pourra pas s’embourber. « Il va faire très froid ce soir » me dit-elle. « En dessous de zéro certainement ». Aïe. On espère que ça va aller avec les filles. Elle nous propose de venir voir la traite qui va démarrer à 18h.

On s’avance vers l’étable, des dizaines de chèvres mangent et bêlent. Puis une dame s’avance accompagnée de Easy la chienne Colley plutôt douce et sympa. Stagiaire sur l’exploitation, début de cinquantaine, cheveux courts et joues rougies par le froid, elle nous emmène voir une autre étable pour que les filles puissent s’approcher de très près des chèvres. Lucie, vrai petit bélier, y va tête baissée et fourrerait de la paille directement dans le bec des animaux si on ne l’empêchait pas. Louise s’avance mais avec plus de mesure. A deux, elles nourrissent les chèvres dans un vacarme constant de bêlements et bruit de mastication. Elles pourraient faire ça pendant des heures. Puis la traite commence. On retourne vers l’autre étable et le petit manège se déroule sous les yeux ébahis et curieux des deux demoiselles.

La dame avait raison. Il a fait froid cette nuit. Quand on s’éveille, encore tout chaud de sommeil, notre petit thermomètre indique 11°. Il est temps de mettre le chauffage en somme !

Azay-le-Rideau (dont Lucie parle encore, 3 mois après) est à deux pas. La visite est fantastique et l’architecture extérieure incroyable. C’est peut-être bien un de nos préférés.

Arrêt #5 – Dans les vignes à perte de vue
Pour rallier notre dernière étape, les quelques instants passés sur les nationales nous semblent des heures. On se traîne gentiment mais sûrement à 90 au fil de la Loire, de l’Indre et du Cher. Rythmé par le ronron d’un des deux petits chameaux qu’on emmène avec nous et par le clapotis des gouttes de pluie qui viennent se briser mollement sur les vitres. Par delà la route, le regard se perd dans les nuages, la campagne brumeuse et le ballet incessant des feuilles d’automne entraînées par les rafales de vent. A la manière d’un escargot, on a notre maison qui bringuebale sur notre dos. Ça sent bon les pâtes mangées à midi, le fromage de chèvre à l’ail, les gâteaux du goûter et les chaussures encore humides de nos visites pluvieuses.

On se gare une dernière fois gratuitement chez des gens. Décidément, voyager comme cela nous plaît énormément. Pas besoin de réserver ni de s’annoncer. On s’avance, on dit bonjour, on voit s’il y a de la place puis… on fait connaissance. La dame qui nous accueille nous présente son travail, les vignes, leurs productions. Il est de bon ton – sans qu’aucune obligation ne soit faite, ni insistance un peu lourde – en échange du gîte, de l’eau et de tout ce qu’on nous offre gratuitement, de soutenir un peu les producteurs locaux en achetant de leurs productions. On ne s’est pas fait prier cette semaine et mangeant du fromage de chèvre, achetant des œufs et cette fois, ce sera du jus de raisin et quelques bouteilles de vin. On fait le tour de l’exploitation pendant que les filles jouent avec des jeux qui appartenaient aux fils de nos hôtes. On repart se mettre au sec dans notre coquille. Vivre dans un si petit espace avec des petites filles se gère plutôt bien. On a surtout pu compter sur leur imagination débordante pour inventer tout un tas de jeux avec les rideaux, les sièges. Ce qui n’exclut pas quelques petites crises bien placées dont Lucie détient le secret.

Le lendemain, comme promis à l’un de nos hôtes, on emmène les filles à Beauval ! Pandas, lamentins, chèvres à tripoter… les filles sont ravies et ont finalement surtout retenu « le ciel de Beauval » : un téléphérique dont les cabines ont des sols parfois transparents qui nous a trimballé d’un bout à l’autre du parc…

Notre voyage se coupe court, une journée plus tôt que prévu. On vient de nous annoncer un nouveau confinement. Il est temps de rentrer. Nous en aurons bien profité malgré tout !

A bientôt pour de nouvelles aventures (oui parce qu’aventures il y aura en 2021 !)

C, G, L&L



2 thoughts on “Du soleil comme s’il en pleuvait ou le revenge travel

  1. Chouette voyage dans la campagne française ! En espérant que cette année les choses s’améliorent pour voir de nouvelles aventures à l’autre bout du monde 😄

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