Putucusi – Le mur, novembre 2011

IMGP8932Je lève la tête. Je ne vois que la falaise abrupte, les nuages menaçants et l’ombre des arbres au loin. La pluie, l’humidité et la peur brouillent ma vision. Et, accroché 2m plus haut à peine, Guy. Il hésite. Pose son pied à droite, puis à gauche. Il descend à tâtons, guidé par ma voix et accroché à mains nues au câble en acier rouillé. Puis je baisse les yeux. Sous mes pieds, que j’ai réussi à insérer dans une fente de la paroi désespérément lisse, le vide. Mes genoux tremblent d’effroi et j’ai peur que mes jambes ne se dérobent. Je m’accroche au câble de plus en plus fort et mes doigts gelés s’engourdissent. Ne pas paniquer, surtout ne pas paniquer. Et surtout, je retiens Guy qui, prit de panique et de vertiges, cherche par tous les moyens une autre voie pour descendre.

Il n’y a plus personne au Putucusi depuis bien longtemps. Il n’y avait pas grand monde avant notre ascension mais cette fois nous sommes définitivement seuls. Sans aucune aide et sous des trombes d’eau.

On avait décidé de tenter cette petite ascension en revenant du Machu Picchu. Il y a – paraît-il- une vue époustouflante et inédite sur la cité Inca de là-haut. Après avoir avalé une trucha, un bistek et s’être gorgés d’Inka Cola, on se sent prêts à aller crapahuter toute l’après-midi. Je ne suis pas totalement remise de ma salmonellose mais je m’alimente normalement depuis peu et j’ai repris des forces.

On quitte notre chambre en prévenant notre logeuse que l’on part au Putucusi, sans trop savoir pourquoi. Elle nous dit de faire attention, et que l’endroit est dangereux quand il pleut. Parfait, il fait grand soleil ! Le début de la randonnée est facile, c’est du plat. Puis on enchaine une série sans fin d’escaliers et on débouche sur une paroi vertigineuse. Une femme est assise là, elle s’adresse à nous en espagnol : « Je n’ai pas voulu monter, je serai incapable de redescendre. Mais mon mari est là-haut, vous lui dites que je l’attends en bas ? ». On regarde la paroi, qui semble effectivement abrupte… « oh mais y’a un câble en acier qui court le long et deux-trois échelles en bois pourri tout en haut. Ça devrait le faire ! ». A vrai dire, on ne se préoccupe pas de la redescente… il fait beau, sec. On se lance dans de l’escalade sans filet de sécurité. On n’est pas peu fiers d’être arrivés en haut de la paroi !

Et on continue notre bonhomme de chemin. Il y a encore au moins 1h30 de randonnée qui nous attend pour arriver au sommet du mont. La randonnée est assez aisée mais mes forces me quittent assez vite. Guy prend le sac puis en profite pour se faire lâchement attaquer par une guêpe. La scène est épique : un hurlement, le sac jeté dans un coin, l’appareil photo dans un autre et Guy part en criant dans l’autre sens en faisant tout un tas de mouvements avec ses bras. Il terminera la randonnée avec une lèvre supérieure plutôt pulpeuse. Je fini par m’arrêter, je n’en peux plus. Le temps se couvre évidemment et on trouve tout les deux cela dommage d’arrêter si près du but. J’encourage Guy à finir et je le vois filer presque en courant pour faire les 20mn de marche restante. Il commence à pleuvoir et je m’impatiente seule dans ma pampa d’altitude. Rassemblant mes forces, je me relance dans la fin de l’ascension. Et après un temps infini, je débouche enfin sur le sommet, sous les hourrah ! de Guy qui pensait vraiment me récupérer au passage en redescendant. Un homme est là aussi, plutôt content de lui : le mari de la dame ! On le prend en photo, on se congratule. Il se met à pleuvoir densément, il faut se remettre en route. La nuit tombe dans 2h.

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La suite est écrite au début de ce récit. La randonnée de descente se passe très bien, jusqu’à la paroi. Tout est glissant, boueux. On est engoncés dans nos k-way en plastique géants : vert pour Guy et rose pour moi. On emprunte les échelles en bois gonflées d’eau, le bois plie sous notre poids. Puis très vite, plus d’échelle, mais juste une paroi lisse, glissante et un câble en acier complètement tordu et rouillé. On s’y accroche comme à la vie, en se laissant glisser sur les genoux, le visage tourné vers le haut pour ne pas être happés par le vide. On essaie de contenir notre panique. On échange peu de mot. Guy est complètement perdu, je lui parle en continu et calmement pour qu’il ne se concentre que sur moi.

Le temps semble avoir perdu de sa substance. Au bout d’un moment qui nous semble une éternité et au prix d’efforts incommensurables (pour nous du moins), nous nous retrouvons tous les deux au pied de la paroi. On est méconnaissables. Nos mains sont rouges de rouille, nos bras tétanisés, on est trempés, couverts de boue, le pantalon de Guy ne lui couvre plus les jambes (il s’est complètement déchiré), nos K-way sont en pièce. On est heureux mais hagards. « Et si… ? » se demande-t-on en regardant ce que l’on vient de descendre. Il ne vaut mieux pas le savoir…

On refait le chemin inverse et on retrouve notre logeuse qui nous dit avoir été très inquiète avec ce temps qui s’est dégradé d’un coup. « Mais je suis rassurée : vous êtes là. Parce que quand il pleut, c’est dangereux là-haut ! ».

4 thoughts on “Putucusi – Le mur, novembre 2011

  1. Je me souviens de cette étape de votre tour du monde comme si c’était hier. J’avais frémi en vous lisant à grand coup de « ohlalalalala » ! C’est l’un des épisodes de votre blog qui m’avait le plus marquée. Vous avez été aventureux et courageux et je suis certaine que ce moment a été source de beaucoup de réflexion et de dialogue sur le dépassement de soi.

    1. Oui on s’en souvient comme si c’était hier aussi…!
      Nous n’avions pas indiqué les détails, aujourd’hui on peut le dire : on a frôlé la catastrophe ! 😉

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